J’ai annoncé hier l’offensive lancée par eBay sur le marché global des petites annonces gratuites (ce qui, en l’occurrence inclut huit villes françaises). Une nouvelle susceptible d’inquiéter les quotidiens locaux et nationaux (voir ce billet).

Mais l’aspect le plus intéressant tient à une partie apparemment langue de bois de la déclaration du porte parole d’eBay, Hani Durzy, selon qui : « Notre objectif fondamental est d’aider les gens à se connecter entre eux. […] Nous avons toujours su que les petites annonces ont un rôle à jouer là-dedans. »

Cela me rappelle la loi de Reed. Plus connue, la loi de Metcalfe veut que la valeur d’un réseau soit proportionnelle au carré du nombre de points connectés, la loi de Reed (1999) ajoute une dimension humaine à la dimension technologique:

« Les réseaux qui encouragent la construction de groupes qui communiquent créent une valeur qui croît de façon exponentielle avec la taille du réseau, soit, beaucoup plus rapidement que la loi de Metcalfe. J’appellerai de tels réseaux des réseaux formateurs de groupes ou RFG (Group-Forming Networks, ou GFN, en anglais). »

Entrepreneur et consultant ayant travaillé pour Lotus et enseigné au Massachusetts Institute of Technology, nous a expliqué par courriel il y a un certain temps déjà que sa loi et celle de Metcalfe « sont des lois de croissance qui indiquent comment la valeur d’un réseau est créée pour ses usagers. » La valeur est ici conçue comme celle de la « connectivité potentielle « , c’est à dire « le nombre de choix que les participants d’un réseau peuvent faire (pour s’affilier à des groupes) dans une architecture donnée » (voir cet article).

Vous trouverez dans la suite de ce billet un extrait de Smart Mobs (foules intelligentes), dans lequel Reed explique à Howard Rheingold comment l’idée de cette loi lui est venue.

Je voudrais seulement ajouter que cette « loi » encore peu connue est indispensable pour comprendre les dynamiques sociales qui se jouent sur l’internet.

Qu’en dites-vous ?

Extrait d’une conversation détaillée entre Reed et Rheingold publiée dans « Foules intelligentes »:

Alors que nous savourions une bisque de homard à Kendall Square, je [Rheingold] lui [Reed] demandai comment il avait eu l’idée de sa Loi. »J’eus le premier ‘eurêka’ en me demandant pourquoi eBay avait tant de succès ». eBay, qui s’avéra être le seul e-business incroyablement profitable, ne vendait rien. Il offrait un marché pour que ses consommateurs puissent vendre et acheter entre eux.

« eBay eu ce succès car il facilitait la formation de groupes sociaux autour d’intérêts communs. Les groupes sociaux se forment autour d’invidus désirant vendre des théières ou des radios de collection. A ce moment-là, je lisais les écrits de Fukuyama sur le capital social. Fukuyama défend, dans son livre Trust [NDT : Confiance], qu’il y a une forte corrélation entre la prospérité de l’économie d’un pays et le capital social, qu’il définit par la facilité qu’ont les gens au sein d’une culture particulière à construire de nouvelles associations. J’avais également remarqué que les millions de personnes utilisant des millions d’ordinateurs avaient ajouté une importante capacité : la possibilité pour les individus au sein du réseau de former des groupes. Je me souviens qu’à partir du moment où il fut possible de répondre et d’envoyer des e-mails à des groupes entiers, il devint également possible de lancer des discussions ad hoc. A partir de ce moment, toutes sortes de chat rooms, de forum, de listes d’amis, de salles des ventes, ajoutèrent de nouvelles manières de former des groupes online. La communication humaine ajoute une dimension à la réseautique informatique. J’ai commencé à penser en termes de ‘Réseaux de Formation de Groupes’ (RFG.) j’ai remarqué que la valeur des RFG augmentait plus vite, bien plus vite, que les réseaux où la loi de Metcalf demeurait vraie. La loi de Reed montre que la valeur des réseaux augmente proportionnellement non au carré des utilisateurs, mais exponentiellement. »

Ce qui signifie que l’on doit mettre 2 à la puissance du nombre de points du réseau à la place de multiplier le nombre par lui-même. La valeur de deux points est de quatre chez Metcalf et chez Reed, mais la valeur de dix points est de 100 chez Metcalf (10 puissance 2, ou 10 × 10) et de 1024 chez Reed (2 puissance 10) – et les taux de croissance montent très vite à partir de là. Ce qui explique comment les réseaux sociaux, rendus possibles par l’e-mail et d’autres communications sociales, dépassèrent les communautés de chercheurs pour atteindre tous les groupes d’intérêts. La loi de Reed est le lien entre les réseaux informatiques et les réseaux sociaux.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...