mandarin-learnerorg.1187975106.jpg Les experts peuvent être utiles. De là à leur vouer un culte, il devrait y avoir une énorme distance. C’est pourtant ce que fait Andrew Keen dans son livre au titre trompeur: The cult of the amateur (voir ce billet ). Mais le plus grave, sans doute, c’est qu’au lieu de porter ses attaques au nom de critères politiques comme Jaron Lanier dans son essai Digital Maoism (voir ce billet ), ou au nom d’une certaine conception des affaires comme le fait Nicholas Carr (voir ce billet ), Keen s’en prend à web 2.0 au nom de l’ordre moral.

Il présente les individus lambda qui s’expriment sur le web, vous et moi, comme des singes (dont les lois du hasard prétendent qu’ils pourraient écrire un roman s’ils tapaient assez longtemps sur une machine à écrire). L’alternative consiste à nous dénoncer comme des cafards porteurs d’un univers kafkaïen dans lequel le monde risque de se réveiller si personne ne l’écoute. Singes et cafards sont d’abord les blogueurs et ceux qui contribuent à Wikipedia, mais l’opprobre s’étend généreusement à tous ceux qui pratiquent le web participatif: Flickr, del.icio.us eBay, etc.

Confondant l’intérêt que nous pouvons avoir à participer et nous exprimer avec la consommation que l’on peut faire de ce qui est admis, il dénonce en vrac tout ce qui n’est pas le fait des mandarins. A l’entendre, nous sommes menacés par une « dictature des idiots » dans laquelle « le professionnel est remplacé par l’amateur […] le professeur de Harvard par la populace analphabète ». Et comme tout cela est gratuit, la valeur intellectuelle ne peut, selon lui qu’en être nulle.

Poursuivant sa croisade sur son blog il y écrit: « Le lecteur naïf de contenu online, n’a plus de guide professionnel pour l’aider à distinguer entre les écrits de Jurgen Habermas et les colères d’un pauvre esprit sans éducation surgies des profondeurs de la blogosphère ».

Rengaine connue qu’il entonne avec emphase, mais peu d’imagination et un manque de nuance que son humour épisodique ne saurait faire pardonner.

En fait l’attaque ne fait pas mouche, sauf auprès des médias traditionnels dont il prend la défense en taisant leurs erreurs connues, leur dépendance de Wall Street de leur tendance croissante à privilégier l’amusement sur l’information, la nouvelle superficielle sur l’analyse. Ils l’ont vite repérés et lui donnent autant d’espace que possible pour dénoncer cette démocratisation des processus informationnels qui leur fait si peur.

Mais la défense des experts n’est qu’un prétexte pour se faire bien traiter lar les pouvoirs en place. Le véritable ennemi de Keen est le désordre moral dont je parlerai dans un prochain billet.

[Image de mandarin trouvée sur Learner.org ]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...