A côté des marchés, des entreprises et des institutions (et des fonctions utiles qu’elles remplissent,) le développement des technologies de l’information et de la communication permettent l’émergence de formes d’organisation à objectif et à calendrier limité. Elles facilitent la réalisation de tâches dont personne ne se chargeait ou ne pouvait se charger auparavant parce qu’elles étaient hors de portée des individus et trop coûteuses pour les firmes ou les institutions.

Dans Here comes everybody , un livre dont j’ai commencé à parler hier , Clay Shirky explique toute la logique qui sous-tend cette évolution et montre certains des avantages de cette nouvelle capacité de «s’organiser sans organisation».

Il donne comme exemple la Mermaid Parade qui a lieu chaque année le dernier samedi de juin à Coney Island, à New York. Jusqu’à présent quelques photos apparaissaient dans les journaux locaux et les milliers d’autres disparaissaient vite dans les tiroirs des amateurs.

Flickr a changé tout cela en offrant une plate-forme (et non une organisation) sur laquelle «toute la coordination vient des usagers». Flickr se garde bien d’organiser les photographes, de décider que la Parade est un événement qui vaut la peine, d’identifier les photos. Ce sont les photographes eux-mêmes qui le font au moment de les tagger, de leur accoler des étiquettes. Quand ils utilisent le même mot, Flickr établit automatiquement un lien entre les photos (et entre eux). Au lieu d’organiser les photographes, il les laisse s’organiser et «c’est la seule façon pour Flickr de faire face aux coûts que cela implique».

Constitués pour résoudre des problèmes que nous ne savions pas résoudre auparavant, fonctionnant sur des logiques différentes que celles auxquelles nous sommes habitués ces groupes non-organisés opèrent selon des logiques propres et souvent paradoxales qu’il est urgent de comprendre.

Prenons deux exemples.

On sait que sur Wikipedia comme pour Linux ou sur Flickr, un tout petit groupe s’investit intensément, une minorité participe de temps en temps et l’immense majorité ne fait entendre sa voix que très rarement. Voilà qui semble relativement peu efficace. Erreur, dit Shirky: la participation épisodique (au mieux) de l’immense majorité des membres de ce genre de groupes ouverts aux liens lâches est une source de richesse et de diversité.

Cela va beaucoup plus loin encore: l’échec contribue à leur succès ou, pour être plus précis, la tolérance face à l’échec contribue à leur capacité d’innover.

« La majorité des projets open source échouent et la plupart ne connaissent que des réussites très modestes» écrit Shirky. Cela veut-il dire que nous les surestimons? En aucune manière, pour la bonne raison qu’échouer ne leur coûte presque rien. Un luxe interdit aux institutions.

«Nombre d’actions qui pourraient présenter un intérêt ne seront pas entreprises, même dans les compagnies innovantes, parce que leur éventuel succès n’est pas assez clairement prévisible,» explique-t-il. A l’inverse, «dans le monde de l’open source, essayer quelque choses revient souvent moins cher que de prendre une décision formelle sur le fait de mener à bien l’expérience ou pas.»

La conclusion d’une telle démonstration est que: «Nos outils sociaux ne sont pas une amélioration pour la société moderne, elles sont un défi. De nouvelles technologies apparaissent, des choses préalablement impossibles commencent à arriver. Si un nombre suffisant de ces choses impossibles ont lieu d’un seul coup, le changement devient une révolution.»

Un peu de culture politique nous invite à faire preuve de prudence face à une telle conclusion, mais cela vaut peut-être la peine de se poser la question et, sûrement, de lire le livre.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...