Dans ce quatrième billet sur les réseaux sociaux et politique je développe l’idée selon laquelle ils permettent d’aborder la double question des changements et du pouvoir d’une façon différente. Il fait suite à un billet sur la révolution des réseaux sociaux , à un autre sur leurs contributions aux printemps arabes et à un troisième sur les limites et les dangers des TIC et des médias sociaux dans les crises politiques .

L’internet, la téléphonie mobile et les réseaux sociaux sont de merveilleux outils de communication et communiquer c’est pouvoir, mais toute confrontation politique pose la question de sa prise et communiquer n’y suffit pas. Qu’il s’agisse de bulletins de vote, de balle ou de bombes… il faut autre chose que tweets et SMS que l’on peut envoyer de la rue, de la plage ou de sa chambre.

Le jour des élections il faut mobiliser les électeurs. Quant au jour de la prise du palais présidentiel… c’est encore plus compliqué, bien sûr. La preuve a maintenant été maintes fois faite que les gens peuvent se donner rendez-vous quelque part sans intervention du moindre chef, pas qu’ils peuvent se mettre d’accord pour « faire » quelque chose, pour prendre le gouvernement, pour l’exercer.

Clay Shirky, que j’avais interpelé sur ce sujet lors d’une conférence donnée à Paris en janvier dernier m’avait répondu que « les groupes synchronisés peuvent tirer parti des plateformes pour l’action civique (Twitter, Facebook, SMS et autres). Mais, citant Pierre Rosanvallon il avait reconnu que les gens s’accordent plus facilement sur ce qu’ils rejettent que sur des propositions constructives.

« Pousser un véhicule militaire dans le Nil [comme l’ont fait les manifestants du Caire] est tout ce à quoi ils peuvent aspirer. C’est aller contre », a-t-il expliqué. Prendre un plais présidentiel et le pouvoir qui va avec, c’est une autre paire de manches qui implique, en général, des propositions plus réfléchies.

Nous avons constaté plein de fois que les réseaux – caractérisés par leur fonctionnement sans chefs et par leur capacité de se regrouper et disperser presque instantanément (swarming) – peuvent être plus efficaces que les organisations hiérarchiques. Il est temps maintenant de reconnaître que l’émergence d’une nouvelle forme d’organisation est susceptible d’avoir un impact sur les confrontations politiques.

A coté des revendications (environnement, respect des minorités, ouverture sur le monde, transparence, etc.) la façon dont les gens s’organisent pour les mettre en avant est essentielle. Les organisations révolutionnaires autoritaires ont donné lieu, au pouvoir, à des régimes autoritaires.

Nous devons aujourd’hui nous demander quel type de régime, de système politique pourrait surgir de luttes menées par des organisations en réseaux sans chefs ni hiérarchies.

D’où l’idée que l’utilisation des TIC, de la téléphonie mobile et des sites de réseaux sociaux pourraient avoir un double impact de poids sur les changements politiques.

Le premier serait une transformation de la politique. Antoní Gutiérrez-Rubí, analyste espagnol que j’ai déjà cité, l’explique quand il dit « la popularité, le potentiel et le magnétisme digital du microblogging offrent un mine de voies pour la communication ainsi que pour la politique. Mais pour une autre politique: celle qui met en relation les gens avec les gens et, sur cette base, construit réseaux, alliances, engagements et actions. »

Ce que nous attendons des printemps arabes de 2011 n’est-il pas l’émergence d’une « autre politique » influencée par les formes d’organisation des manifestants autant que par leurs revendications?

La seconde implication tient à la question de la prise du pouvoir. Les siècles nous ont appris qu’il fallait le prendre (quelles que soient les modalités) pour pouvoir mettre en œuvre des changements.

Mais si les gens peuvent se réunir sans être convoqués, se retrouver en masse sur des thèmes limités, pour un temps limité, alors la question de la prise du pouvoir s’en trouve peut-être bouleversée. Si un nombre suffisant d’individus connectés et de communautés de taille modeste parviennent à se mobiliser quand ils l’entendent pour exiger les transformations dont ils rêvent et dont ils ont besoin, alors il n’est peut-être plus indispensable de gagner les élections pour se faire entendre, d’occuper le palais présidentiel, c’est à dire de prendre le pouvoir et de l’exercer pour obtenir les changements voulus.

Voilà qui pourrait inquiéter les institutions en place, pas seulement celles qui sont au pouvoir et pas seulement au Moyen Orient.

A suivre… (un dernier billet sur le paradoxe de l’adrénaline).

[Photo trouvée sur NowPublic.com ]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...