sol-minifestante-conbarba.1305889601.jpg Le côté pacifique des manifestations ayant donné lieu au printemps arabe et la force de leur impact politique constituent une référence et une émulation pour les citoyens des pays démocratiques. Nous sommes beaucoup à nous demander comment s’en inspirer pour obtenir les changements que présidents, parlements et partis ne nous donnent pas. C’est exactement ce que les Espagnols sont en train de montrer en ce moment.Le problème c’est que tout cela ne fonctionne pas de la même façon par gros temps et par temps calme. En gros ça marche à l’adrénaline.

[Ce billet s’ajoute à une série sur les médias sociaux et le pouvoir dans laquelle j’ai abordé le rôle perturbateur des réseaux sociaux , leur contribution aux printemps arabes , leurs limites et les dangers qu’ils représentent, le fait qu’ils ne semblent pas jouer un rôle déterminant dans la prise du pouvoir ]

C’est un article du Guardian intitulée « Les limites de la révolution Twitter«  qui m’a mis la puce à l’oreille. L’auteur, Anne Nelson, y compare ce qui s’est passé en Égypte et en Tunisie avec des utilisations moins excitantes comme celle du South China Morning Post de Hong Kong qui a ouvert une carte citoyenne de la ville sur laquelle les gens sont invités à faire figurer les décharges illégales d’ordures. La participation est faible.

Elle constate que quand la situation implique des problèmes chroniques, moins transcendantaux, il est, je cite « plus difficile de convaincre les citoyens de collaborer volontairement, même quand le projet entraine pour eux des bénéfices immédiats ».

Cela ne veut pas dire, bien évidemment, qu’ils ne servent à rien hors révolution ou hors crise, mais nous avons intérêt à comprendre ce que nous pouvons en attendre pour les luttes et les revendications de la société civile.

Ann Nelson invite à ne pas se laisser bercer par des chimères, à ne pas ignorer les réalités politiques dures. Pour elle, les médias sociaux peuvent contribuer de manière impressionnante aux confrontations politiques quand l’adrénaline monte du fait de l’urgence. Sans elles, l’attention et l’activisme online baissent très vite.

On en arrive ainsi à ce paradoxe des médias sociaux et de l’action politique: ils sont très utiles dans les situations révolutionnaires… sauf pour prendre le pouvoir qui est l’enjeu de ces moments là, mais les gens s’en servent moins quand le pouvoir n’est pas en jeu, c’est à dire quand ils pourraient être plus utiles.

La question devient alors: comment sortir de ce paradoxe?

L’exemple espagnol du moment montre, que les gens y ont volontiers recours en période de crise pas nécessairement révolutionnaire.

Mais, une fois de plus je crois que nous trouvons des éléments de réponse chez Clay Shirky, en particulier dans un article récemment publié dans la revue Foreign Affairs sous le titre « Le pouvoir politiue des médias sociaux » .

Il y oppose une vision « environnementale » des médias sociaux à la vision « instrumentaliste » défendue par les autorités américaines sous la bannière de la « liberté de l’internet ». Elles voudraient l’imposer et risquent de causer plus de torts que de biens.

Dans la conception environnementale, les changements démocratiques suivent au lieu de précéder le développement d’une sphère publique forte. C’est un processus social lent dans lequel les gens doivent d’abord occuper l’espace public et s’y exprimer. Les médias sociaux apparaissent alors comme des instruments dont ils pourront se servir le moment venu.

Ça permet de cadrer le problème. Reste la question de l’adrénaline.

Dans une conférence donnée (à Madrid!) le 28 avril dernier je l’ai entendu dire que « nous sommes habitués à un monde dans lequel on fait les petites choses par amour et les grandes pour de l’argent. Un des apports des médias sociaux c’est qu’ils changent la taille des choses que nous ne faisons pas pour de l’argent. » L’exemple le plus clair est Wikipedia.

C’est pas mal mais Shirky est le premier à reconnaître que la démonstration n’a pas encore été faite qu’ils peuvent servir dans la gestion des affaires d’un pays. Il nous invite à l’inventer, mais rappelle toujours qu’il a fallu un siècle après l’invention de l’imprimerie pour que la société change vraiment.

Les Espagnols ne semblent pas disposés à attendre si longtemps. Ils montrent l’utilité des médias sociaux en temps de crise dans un pays démocratique (où leur utilisation par les autorités pour réprimer devrait peser moins que dans les dictatures).

J’ai l’impression qu’ils confirment qu’ils confirment le rôle fondamental de l’adrénaline, mais suis curieux de savoir ce que vous en pensez.

[Photo FLickr de « Minifestant » sur la Plaza del Sol de Madrid de Sergio Rosas (Conbarba) ]

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...