Article publié dans Le Monde daté du 4 février.

L’innovation, selon Silicon Valley, consiste à transformer les résultats de la recherche en produits ou en services qui s’imposent sur le marché. L’essentiel, comme le précise Wikipedia (en anglais), est d’éviter la confusion classique: « l’innovation renvoie à l’utilisation d’une idée, ou d’une méthode nouvelle alors que l’invention renvoie plus directement à la création de l’idée ou de la méthode. » L’élément déterminant ici, c’est l’acceptation par le marché et/ou les institutions qui l’encadrent.

Voilà pourquoi l’innovation requiert plus que des inventeurs. Il faut l’argent nécessaire à la transformation de l’idée en produit, le « nerf du marché » ou ce qui permet d’y arriver. C’est bien parce qu’elle offre la concentration la plus dense de cerveaux (les universités de Stanford et de Berkeley entre autres) et de financiers (les capital risqueurs de Sand Hill Road) dans l’espace le plus réduit que Silicon Valley est devenue la capitale mondiale de l’innovation. La densité permet aux gens de se croiser et de tisser des liens informels forts.

Cette définition simple et correcte comporte un oubli et un piège. L’oubli concerne le rôle joué par l’incessante intervention de l’État sur un modèle différent du français: par investissements et instigations. L’impact des deniers du Pentagone et de son département de recherche, le DARPA, en sont les exemples les plus connus.

Le piège est qu’accepter cette définition et la recette sous-jacente conduit à voir dans Silicon Valley un espace unique. Le seul modèle à répliquer. Ça empêche de voir ce qui peut émerger ailleurs, les variations sources de nouveautés.

Les universités de premier niveau se multiplient partout. Chine, Inde, Brésil et Pays du Golfe, entre autres, disposent de ressourcent financières considérables. L’internet, enfin, contribue à relativiser l’importance de la proximité géographique. Et tous les gouvernements veulent leur Silicon Valley. Fred Wilson, un des capital risqueurs les plus en vue, écrivait en août dernier « le monde entier rivalise maintenant avec Silicon Valley. Plus aucun pays, aucun état, aucune région, aucune ville n’a le monopole de l’innovation technologique. »

Mais le modèle lui-même peut changer. Si le secret de nos sociétés est, comme l’avait montré Schumpeter, leur capacité de « destruction créatrice » il n’y a aucune raison de la limiter à ce que le marché sanctifie.

La vision change si l’on introduit la créativité individuelle, sans doute la chose du monde la mieux partagée, notamment chez les gens qui sont tenus d’innover pour survivre. L’urgence peut conduire à l’accélération des processus, aussi effectivement que la frénésie des investisseurs.

Ce à quoi il faut ajouter les perturbations porteuses de changement introduites par les mouvements sociaux, comme ceux des jeunes arabes l’an dernier. Sans passer par le marché, ils ont bel et bien introduit des nouvelles façons d’utiliser les technologies de l’information qui les enrichissent.

Silicon Valley conservera longtemps son attrait. Aucun doute là dessus. Mais son monopole s’effiloche comme tant d’autres, ainsi sans doute que le modèle qui le caractérise.

Cela ne tient pas seulement à l’internet ou à la multiplication d’ingénieurs et de milliardaires aux antipodes, mais à cette définition entendue des dizaines de fois en Afrique: « innover c’est apporter une solution nouvelle à nos problèmes ». La multiplicité des problèmes déclenche la multiplication des innovations. Elles ont souvent un marché, plusieurs mêmes, et de taille. Et quand elles n’en trouvent pas immédiatement elles bousculent directement leur milieu social. Leurs connexions sur le net entraine boule de neige.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...