Article paru dans le supplément Science&Techno du Monde du 24 mars

Belle leçon pour celui qui s’entête à sillonner la planète en quête d’innovations : on peut découvrir plein de nouveautés en deux jours et en un seul endroit. C’est ce qui m’est arrivé à l’Unesco, à Paris, les 15 et 16 mars au cours du Forum Netexplo.

Trois grandes « lignes de force » marquent les innovations du moment selon Thierry Happe (cofondateur avec Martine Bidegain de cet événement annuel). Le big data nous conduira bientôt à  » prendre nos décisions sur la base des données en temps réel plus qu’en fonction de notre expérience et de notre intuition « . Solomo est le fait que nos activités sont de plus en plus SOciales, LOcalisables et MObiles. Marqué par le  » printemps arabe  » de l’an dernier, l’activisme 2.0 ne peut plus être ignoré.

Mais le rapport qui structure le forum est celui que présente le sociologue Bernard Cathelat au terme d’un processus qui a permis à l’équipe de Nextexplo et à ses correspondants partout dans le monde de repérer 400 start-up, d’en sélectionner 100 pour garder les 10 meilleures.

Tracking and profiling : tout ce que nous faisons en ligne laisse une trace qu’entreprises et gouvernements gardent pour suivre nos actions et nous connaître. Du coup, la transparence devient une offre de service. Nous vivons dans un  » monde de cristal  » qui permet de savoir, par exemple, combien chaque médecin américain reçoit des laboratoires pharmaceutiques. Ce que montre $ for Docs ( » dollars pour médecins « ), une application mise au point par Propublica.org (Le Monde du 15 juin 2011).

Cela peut conduire à un véritable « drame de l’identité ». Zone ambiguë, puisque nous serons toujours tentés d’exiger la transparence de l’autre tout en préservant nos espaces propres. Les réseaux sociaux deviennent des outils de gestion de notre capital d’influence (sway capital), source potentielle de revenus.

Le dernier point est le match marketing, qui permet de mettre en relation utilisateurs et entreprises de façon précise (à la différence du mass marketing). Grâce aux données des cartes bancaires, Freemonee.com met les utilisateurs à portée des offres des commerçants.

Nous passons ainsi – c’est essentiel à comprendre – d’une phase dans laquelle l’accent était mis sur la connexion (réseaux sociaux) à une autre où l’accent est mis sur les données (big data), de la distribution des pouvoirs de tout type à leur possibilité de concentration.

Les tendances que l’on repère dans ce genre d’exercice ont l’avantage d’être simples et l’inconvénient de sembler inéluctables. Peut-être gagnerions-nous à les présenter aussi sous forme de tensions marquant les champs dans lesquels les acteurs doivent se positionner.

En écoutant Cathelat, j’ai retenu celle qui oppose et lie en même temps la capacité de tout savoir, de tout garder, de tout brasser (grâce au data mining) et le droit à l’oubli, la discrétion, le secret des individus et des groupes. A quoi on peut ajouter la tension entre la transparence comme demande sociale et l’opacité comme système d’exploitation des entreprises et des institutions.

Heureusement qu’un grand nombre d’innovateurs ont des intérêts d’abord humanitaires. C’est le cas de la Singapourienne Selene Chew, lauréate pour son projet Blindspot : une canne intelligente pour aveugles qui sait, grâce au GPS, où l’utilisateur se trouve, dont les capteurs détectent les obstacles et qui peut retrouver dans la foule proche les membres de ses réseaux sociaux et les contacter grâce à un téléphone. Une petite merveille.

J’ai donc beaucoup appris en deux jours au palais de l’Unesco, sauf que ces tensions-là ne sont pas vécues de la même façon ni avec les mêmes rapports de force partout. Pour cela il faut se rendre sur place. Prochaine étape : le Brésil.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...