Article publié dans le supplément Science&Techno du Monde daté du 26 mai

Composante essentielle de l’innovation technologique depuis Steve Jobs, le design en est aussi un des enjeux stratégiques les plus importants. Silicon Valley compte dessus pour préserver son avantage sur ceux qui « fabriquent ». Le cas de l’Inde pourrait lui donner raison, plus, semble-t-il que celui du Brésil.Qu’ils soient formés à Bangalore, Mumbai, Dehli ou Kolkata, ingénieurs et mathématiciens indiens jouissent d’une considérable réputation. Pas les designers, ce qui commence à être perçu comme une faiblesse. »Nous ne manquons pas de designers, » estime Poyni Bhatt, directrice de SINE (Society for Innovation and Entrepreneurship), incubateur installé dans les locaux de l’Indian Institute of Technology-Bombay, une des pépinières d’ingénieurs les plus prestigieuses. « Mais du fait que nous avons beaucoup de compagnies spécialisées dans l’ingénierie et la fabrication de produits physiques, nous accordons moins d’importance au design. » »Il a longtemps été possible de vendre n’importe quel produit, aussi mal designé soit-il, du moment qu’il était fonctionnel, » m’a expliqué Kachan Kumar, président du chapitre local de TiE (The Indus Entrepreneurs) une association fondée à Silicon Valley pour encourager l’entreprenariat indien dans le monde grâce à l’argent et à l’expérience de ceux qui ont réussi. « Aux yeux de la classe moyenne le design pouvait être désirable mais pas nécessaire puisqu’on peut vivre sans. Et en plus il coûte cher. L’art, traditionnellement est réservé aux riches « . »Je ne connais pas beaucoup de jeunes qui envisagent de prendre le design comme profession, » poursuit Kumar. « Nous avons des centaines d’universités pour ingénieurs, très peu pour designers. Les beaux arts sont perçus comme un hobby, pas une profession, » regrette-t-il.Pour Mahesh Samat, ex directeur exécutif de Disney-Inde ressourcé dans le vin (il a son propre vignoble à 200 km de Mumbai) et la BD, « le plus gros défi de l’Inde est le manque de respect pour les arts libéraux, nous allons regretter le manque de créativité originale. Nous ne pensons pas différemment, pour reprendre l’expression d’Apple, nous ne pensons pas « out of the box« . L’industrie cinématographique encourage les approches ne reposant pas sur l’ingénierie, mais c’est le seul domaine où nous sommes créatifs. » »Les Indiens commencent à s’intéresser au design, » estime pour sa part Prem Chandavarkar, architecte installé à Bangalore. « Avant la crise de 2008 nous avions une croissance de 8% à 9% par an et quoi que nous fabriquions permettait de gagner de l’argent. Le design et l’innovation n’étaient pas nécessaires. L’insécurité nous a fait changer, mais on ne peut pas ‘sauter dans le design’ (jump into). Il faut du temps, de la réflexion. » L’industrie indienne commence à faire face au problème et « dans trois ans ça sera différent, » estime cet architecte bien placé pour mesurer l’évolution puisqu’on lui en demande de plus en plus d’espaces designés pour encourager l’innovation.La conscience de l’importance du design augmente vite partout où je suis allé. C’est d’autant plus important que ça n’est sans doute pas le retard le plus difficile à rattraper.Devenue le troisième pôle technologique brésilien grâce à la qualité de ses ingénieurs, Recife fait maintenant le pari des « industries créatives ». « Nous ne concentrons plus seulement sur la technologie, » explique Silvio Meira président de CESAR (Centre d’Études et de Systèmes Avancés de Recife), moteur du développement local.  « Nous avons 40 designers et multiplions les équipes multidisciplinaires. » Pour lui, comme pour Kachan Kumar de TiE-Mumbai, le design est clé pour toute entreprise désireuse de s’attaquer aux marchés mondiaux.CESAR travaille déjà avec des designers angolais. Que se passerait-il s’il s’alliait à des ingénieurs indiens ?

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...