Tu veux nous dire aujourd’hui qu’il faut changer notre conception de l’innovation. Qu’entends-tu par là ?

Laisse moi préciser que je pense d’abord aux grosses sociétés et en particulier aux françaises. On sait que les grosses boîtes ont du mal à innover parce qu’elles doivent d’abord préserver leurs acquis et que se remettre en question, changer de cap leur est difficile. A cela il faut ajouter qu’en France on tend à réduire l’innovation à sa dimension technologique :

  • C’est d’autant plus incompréhensible que l’OCDE, l’organisation internationale qui regroupe les pays occidentaux les plus développés retient quatre domaines d’innovation : les produits et services, les procédés, la commercialisation et l’organisation;
  • à cela nous pouvons ajouter que depuis Apple et les succès de l’entreprise californienne IDEO on sait que le design joue un rôle considérable. Il a même donné lieu à une méthode pour innover : le design thinking.

Mais ça n’est pas tout, nous avons affaire, en France — par tradition — à des entreprises encore plus hiérarchisées qu’ailleurs, plus structurées, mois horizontales et moins flexibles.

  • Or on sait qu’une des caractéristiques des entreprises innovantes c’est la légèreté de leurs structures hiérarchiques, l’ample degré d’initiative laissé aux employés et le fait qu’on encourage la prise de responsabilité;
  • il y a aussi, bien sûr, l’invitation à contester l’autorité et la tolérance à l’erreur, voir l’encouragement car, qui ne se trompe pas n’a pas essayé d’innover d’une façon assez audacieuse.

Mais je reviens à ta question : changer de conception de l’innovation cela veut dire d’abord comprendre qu’on doit passer d’une approche hiérarchique, institutionnelle et fondamentalement technologique à une conception plus souple, plus horizontale, plus écosystémique.

Comment en es-tu arrivé là ?

Depuis que j’ai fini l’essentiel de mon voyage autour du monde de l’innovation j’ai fait plusieurs conférences et parlé avec pas mal de gens qui tendent à me dire qu’ils font un gros effort pour la digitalisation de leur entreprise ou — comme ils disent — pour « passer au numérique ».

Or il se trouve que le dit « numérique » (mais tu sais que je préfère utiliser « digital ») est maintenant présent dans le monde entier. Le fait qu’il y a 6 milliards de cartes SIM en circulation montre que la plupart des humains de plus de 5 ans sont maintenant connectés. En être à se connecter ne me paraît donc révélateur du fait qu’on est en retard.

C’est pour ça que je dis que l’innovation est le nouveau digital ce par quoi j’entends que les gens à la pointe mettent l’accent sur l’innovation plutôt que sur le passage au digital. Et c’est alors qu’on me répond « mais nous innovons », mais les entreprises innovent depuis très longtemps.

Or je crois qu’elles ne le font pas d’une manière convaincante. Disons que je ne vois pas beaucoup de résultats enthousiasmants. Mais rien n’est plus difficile que de convaincre quelqu’un de changer quelque chose qu’il et convaincu de faire bien. Et beaucoup de Français sont facilement convaincus qu’ils font les choses plutôt bien, en tous cas mieux qu’ailleurs.

Mais alors comment résoudre le problème ?

J’aimerais bien être sûr d’avoir la réponse. Disons qu’il y a des éléments à partir desquels on peut travailler.

Le premier est une réalité : il y a des startups en France et des gens qui font exactement la même chose, avec la même volonté, le même enthousiasme et la même inventivité qu’ailleurs.

Le second est le concept d’innovation ouverte et distribuée développé essentiellement par deux professeurs américains : Henry Chesbrough de Berkeley et Eric Von Hippel de MIT. Ils ne travaillent pas ensemble mais se complètent.

Je retiens trois idées de ce que j’ai lu de leurs travaux.

  • L’idée centrale de l’innovation ouverte c’est que les entreprises (et pas seulement les françaises) ne peuvent plus se contenter de leurs employés et de leurs procédés pour innover. Elles doivent s’ouvrir à leurs clients et à leurs partenaires.
  • A cela il faut ajouter que l’innovation étant distribuée partout il faut démocratiser les processus et s’ouvrir à des startups qui ne sont ni clients ni partenaires mais qui innovent.
  • Le troisième élément est que les technologies de l’information facilitent considérablement la collaboration avec des gens extérieurs même s’ils sont loin.

Ce que j’apporte de mon voyage c’est que l’innovation est distribuée globalement et que le pool de gens avec lesquels on peut travailler est considérable et varié.

Je voudrais terminer par deux idées simples :

  • La première est que les entreprises qui veulent innover sans tout bouleverser peuvent le faire en créant des espaces d’innovation virtuels et réels où leurs employés peuvent rencontrer des innovateurs sans relation avec la boîte. J’en ai visité un de ce type hébergé par Samsung à Séoul;
  • la seconde est qu’aujourd’hui le processus d’ouverture doit être global et pas seulement national pour la bonne raison qu’on innove partout et que les innovations circulent et peuvent nous surprendre. Autant donc anticiper.

L’avantage de cette approche est qu’elle permet d’avancer tout de suite en remettant à un peu plus tard les bouleversements organisationnels dont je reste convaincu qu’ils sont indispensables.

Billet publié sur le site de l’Atelier des médias, émission de RFI

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...