Tu veux nous parler des technologies utilisées lors de la toute récente élection présidentielle kenyane. Pourquoi ?

La raison en est simple : le système n’a pas marché ce qui est particulièrement grave dans un pays qui avait connu de sérieuses violences lors de sa dernière élection présidentielle.

J’ajoute que c’est une question importante pour tout ceux qui voient dans le Kenya un modèle pour l’Afrique dans le domaine des TIC

Mais avant d’aller plus loin je voudrais prendre une précaution : je n’étais pas sur place et j’ai lu plusieurs articles et billets de blogs qui sont sans doute toutes partisans même quand elles ne le disent pas.

Ceci dit, passons aux faits. En termes politiques, pour ceux qui l’ignoreraient encore, l’élection a été gagnée par Uhuru Kenyata, fils de l’homme considéré comme le fondateur de la nation. L’homme est en attente de jugement par la cour pénale internationale en raison de son implication présumée dans les violences causées lors des dernières élections générales. Elles avaient fait plus de 1000 morts et entrainé le déplacement de 300.000 personnes

o Le point le plus important sans doute est que cette fois l’élection a eu lieu sans violence notable. Les observateurs de l’Union Européenne ont même félicité l’organisme chargé du scrutin tout en notant que la transmission électronique des résultats par les bureaux de vote n’avait pas bien marché.

En fait, il a fallu attendre 5 jours pour connaître les résultats officiels qui devaient être publiés en moins de 48h.

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Le premier niveau d’explication est assez simple : au lieu d’être transmis électroniquement les résultats de chaque circonscription a du être apporté par le responsable local au siège de la commission électorale.

o A Kisumu, troisième ville du pays, l’informaticien de la commission électorale régionale a expliqué à l’AFP : « Les serveurs se sont plantés et nous avons été incapables de transmettre ».

o A cela il faut ajouter que pendant les deux premiers jours le nombre de bulletins nuls était multiplié par 8 par un bug et des rumeurs selon lesquelles le système aurait été hacké.

Bref : le Kenya a connu une élection pacifique – ce qui compte – mais la technologie – sur lequel le pays comptait ne semble pas avoir été au rendez vous.

Mais qu’est-ce qui n’a pas marché exactement ?

Laisse moi d’abord de dire deux mots sur le système.

Il reposait sur l’identification biométrique des inscrits et un système de transmission des résultats simple dans son principe : chaque bureau de vote – il y en a 33.000 – disposait d’un téléphone mobile avec une application permettant de transmettre les résultats provisoires à des serveurs chargés de les rendre publics localement et au niveau national.

Une belle idée pour qui cherche des élections transparentes dont le résultat est connu rapidement. Mais… ça n’a pas marché. J’y reviens dans un instant.

Je dois d’abord préciser que les accusations de hacking ne semblent pas fondées. Un post d’un des responsables de la sécurité du système qui affirme avoir constaté deux attaques et les avoir repoussé toutes les deux.

J’en viens maintenant à l’explication de fond. La plus complète et la plus documentée est fournie par Erik Hersman sur son blog WhiteAfrican. Je rappelle qu’Hersman est un des créateurs d’Ushahidi et un des fondateurs du iHub de Nairobi dont j’ai déjà souvent parlé.

· Publiée online pour que tout le monde puisse la voir et y participer elle montre – et je passerai les détails à nos auditeurs – la participation de Safaricom le principal opérateur Kenyan et de Google qui ont fourni l’un les SIM cards pour les mobiles et l’autre les sites pour la publication des résultats. Les deux semblent lui avoir donné des explications satisfaisantes sur les processus suivis et ce qui a marché ou pas. Un blog de la commission électorale donne toutes les informations nécessaires.

· En fait, selon Hersman, le problème vient moins de la technologie que de l’organisation. Il estime que la technologie était simple et que les entreprises participantes ont fait leur travail.

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o Mais il est convaincu qu’il s’agit d’un excellent exemple, je le cite « d’échec de gestion du processus ». Il donne comme exemple le fait que le système a été mis en place très tard : en moins de deux mois

Est-ce que tout cela t’invite à réviser ton jugement sur ta vision du Kenya comme pôle avancé du développement des TIC en Afrique ?

C’est effectivement la question à laquelle nous en venons tous. Approchons la par étapes :

  • Un blogueur du nom de Moses Kemibaro écrit que le plus grand perdant de l’élection présidentielle est la technologie. Il l’attribue à une manifestation de plus de la loi de Murphy « si une chose peut mal tourner elle tournera mal infailliblement ». Il regrette que, dans ce pays qui aspire au rôle de leader continental en matière de technologies de l’information les résultats finaux aient du être réunis et comptés manuellement. Un comble.
  • Hersman par contre, attribue les failles à la gestion du processus. Mais il faut aller plus loin pour en comprendre les raisons.

o La première est le manque de moyens dénoncé par certains blogueurs

o La seconde est le fonctionnement bureaucratique et la difficulté d’adapter la lenteur administrative au rythme des technologies de l’information.

o La troisième, soulignée par Hersman, est le manque de transparence du processus que l’on peut attribuer plus au manque d’habitude et à la négligence qu’à l’intention de nuire.

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Mais il est vraisemblable qu’Hersman soit naturellement enclin à dire que les développeurs ont fait leur boulot et que les bureaucrates l’ont, volontairement ou pas, saboté.

Ma conclusion personnelle – sur la base de ce que j’ai lu – est que si l’on sépare la technologie du reste, Hersman semble avoir raison. Mais c’est sans doute une erreur qu’il ne faut jamais commettre.

o J’aurais personnellement tendance à attribuer l’échec à un problème trop fréquent : le manque d’attention que nous portons au contexte qui se rappelle toujours au bon souvenir de ceux qui l’ignorent.

o C’est une bonne leçon pour qui veut suivre le développement des TIC et pas seulement en Afrique.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...