Tu veux nous montrer aujourd’hui que les villes sont favorables à l’innovation. C’est une vieille idée reçue. Qu’y a-t-il de nouveau?

Tout le monde sait depuis longtemps que les villes sont favorables à l’innovation mais personne ne sait vraiment pourquoi. Sans doute devrais-je dire « personne ne savait » car deux articles scientifiques publiés ce mois de juin par des équipes différentes nous donnent quelques éléments nouveaux. Disons que les hypothèses se précisent.

La première démonstration, strictement mathématique, concerne la spécificité des villes. Elle part de la constatation que leurs propriétés socioéconomiques augmentent en fonction d’un coefficient stable (proche de 1,15) par rapport au nombre de leurs habitants. Quelque chose de jamais vu dans la nature.

Le mieux, pour expliquer c’est de prendre une phrase de Geoffrey West, un des chercheurs du Santa Fe Institute à qui nous devons ces démonstrations.

Il explique que, je cite « à la différence de tout ce que nous avions vu en biologie les villes croissent de façon super linéaire […] Cela veut dire que quant on double la taille d’une ville on a plus que le double de quantités socioéconomiques bonnes et mauvaises – brevets, cas de sida, salaires, crimes, etc. » Fin de citation.

Dit de façon encore plus simple : Quand les villes doublent en taille, les bons et mauvais côtés sociaux, qu’ils soient collectifs ou individuels sont multipliés par 2,3. Phénomène remarquable, ce coefficient est à peu près constant quel que soit le continent et l’époque.

La clé dans tout ça c’est que l’efficacité spécifique des villes tient au fait que les plus grandes sont légèrement plus denses alors que les réseaux de l’infrastructure (rues, tuyaux, câbles) par habitant sont plus petits. Il y a donc une économie en infrastructure

C’est ce que Luis Bettencourt, l’autre tête de cette équipe du Santa Fe Institute, explique dans les termes suivants :

  • « Toutes les villes réalisent à la fois des économies d’échelles spatiales à mesure qu’elles croissent et, simultanément, des gains de productivité socioéconomique » explique Bettencourt.
  • On constate que la vie y est plus chère, que les habitants y sont plus riches et « culturellement et technologiquement plus productifs ».

A quoi cela tient-il?

Dans un article publié ce mois-ci par la revue Science, Bettencourt montre que la raison pour laquelle les villes sont favorables à l’innovation tient en fait aux relations entre les gens. Traditionnellement on explique leur importance par la spécialisation des métiers (comme l’a fait au 18ème siècle l’économiste Adam Smith) ou par la concentration des industries (comme le fait la théories des clusters qui pense que la proximité des usines et des entreprises peut produire des merveilles).

Bettencourt, au contraire, explique que, plus que le nombre de personnes (qui augmente d’une façon linéaire), c’est le nombre de relations possibles entre les habitants qui fait la différence. Elle augmente en effet d’une façon exponentielle. C’est la super linéarité dont je parlais plus tôt.

Et là nous bénéficions d’une autre étude réalisée, cette fois par le Massachussetts Institute of Technology. Elle est animée par un simple doctorant du nom de Wei Pan qui montre que tout cela est en fait une question de « densité des liens sociaux ».

En termes simples, le rôle particulier des villes dans l’innovation tient en bonne partie au fait qu’on y a plus de chances d’y rencontrer d’autres personnes face à face.

Deux éléments jouent un rôle clé :

  • la mobilité rendue possible par les réseaux de transports
  • et la présence de multiplies espaces de rencontres et d’échanges – lieux de cultes, cafés, espaces de coworking entre autres (et, pourquoi pas, manifestations).

A quoi ça sert tout ça?

Ces recherches quantitatives devraient permettre, selon Bettencourt di Santa Fe Institute de « saisir les opportunités créées par les villes et d’éviter certains des immenses problèmes qu’elles posent ».

Au risque de simplifier à l’excès, elles confirment l’intuition et le travail de ceux qui pensent que tout ce qui favorise la communication, la fluidité, la mobilité et les rencontres, c’est-à-dire, la mobilité, la diversité et les espaces ouverts est bon pour l’innovation et pour la richesse des villes et de leurs habitants.

C’est d’ailleurs largement pour s’être développée dans cette direction que Medellín, l’ancienne capitale des narcos colombiens, a été déclarée ville intelligente de l’année par le Wall Street Journal.

Un des éléments clés a été la construction d’escalators pour accéder aux bidonvilles et donc en sortir et unre remise en question radicale des transports en commun municipaux

Je trouve tout cela fascinant, notamment parce que ça débouche sur une nouvelle question:

  • Celle que je me pose maintenant est de savoir non pas si les villes sont des lieux d’innovation mais si elles sont capables d’innover en tant que villes. Rien ne dit que la taille soit favorable. Il y a peut-être là un paradoxe à creuser qui tiendrait éventuellement à la taille optimale pour avoir des vraies discussions démocratiques et participatives.
  • Je crois que personne n’a encore de réponse.

Billet paru sur le site de l’atelier des médias, émission de RFI

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...