J’ai connu Brent à Stanford à l’occasion d’un cours que j’y donnais en 2003. Il était un des plus attentifs, un des plus ouverts, mais avec cette touche de détachement qui soulignait sa jeunesse, sa culture californienne. Il posait des questions, s’interrogeait sans cesse. Un plaisir pour le prof.

C’est dans ce cours où nous avons beaucoup parlé des réseaux qu’il a eu l’idée de ce qui devait devenir Carrotmob. J’ai trouvé le projet amusant sans vraiment comprendre toute sa puissance.

J’ignorais tout de l’entrepreneuriat social, un fossé parfaitement résumé dans cette formule clé de l’entreprise : « Why boycott if we can buycott ». Jeu de mot puissant en anglais et vraiment difficile à traduire qui renferme toutes les ressources de l’organisation en réseau pour aider une entreprise sociale qui « fait le bien » en nous poussant à acheter ses produits ou services plutôt qu’à boycotter les méchants.

J’en étais encore aux militants et à la force de la protestation. Il avait compris l’énergie qu’activistes et consommateurs connectés peuvent générer et comment leur donner une cause.

10 ans plus tard, Carrotmob est devenue une entreprise « for profit ». Est-ce vraiment compatible avec les rêves de l’étudiant d’hier ?

Une visite sur le site où il raconte son histoire me permet de découvrir qu’elle est moins faite de « sacrifices » que de « résilience », que la « bureaucratie » y a moins pesé que « l’endurance » et qu’elle s’explique moins par une « détermination étroite » (narrow single-mindedness) que par un « engagement ouvert » (broad commitment).

Joliment dit mais j’avais besoin d’en savoir et lui ai demandé par email de m’expliquer ce concept bizarre d’entreprise activiste à but lucratif.

« J’ai lancé Carrotmob pour résoudre un problème » m’a-t-il répondu. « Mon objectif a toujours été de construire une organisation capable de résoudre ce problème. En fin de compte, la structure légale et fiscale que se choisit une organisation n’est guère qu’un morceau de papier qui repose dans un classeur quelque part. »

Il a bien démarré comme entreprise à but non lucratif. Mais l’IRS, l’institution chargée de prélever les impôts, n’a pas compris le concept de buycott et n’a pas accepté d’enregistrer ce genre d’action comme charitable et de l’exempter. Il a donc fallu revenir à la structure traditionnelle des for-profit.

Cela le perturbe-t-il ? « Au fond du fond, je ne suis pas sûr de l’importance que ça revêt, » continue-t-il. Une entreprise activiste qui gagne de l’argent doit être l’objet de beaucoup d’attention, reconnaît-il volontiers et il s’engage à être « extrêmement transparent » quant à son modèle d’affaire.

Il sait qu’il doit prendre le plus grand soin à ne pas se laisser déchirer par les motifs contradictoires du capitaliste et de l’activiste. « Mais le bottom line est que certaines organisations seront dignes de confiances et d’autres pas. Certaines parviendront à entrainer le changement social et d’autres pas. Et ça a très peu à voir avec la structure légale. »

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...