S'inspirer de l'Asie

« Le monde qui vient est hors de votre zone de confort ». C’est avec ces mots que Kishore Mahbubani, ancien diplomate singapourien et recteur de la Lee Kuan Yew School of Public Policy, a récemment reçu un groupe de cadres européens de haut niveau.

Le XXIème siècle sera marqué par « le retour de l’Asie sur le devant de la scène ». Simple rectification des deux derniers siècles qu’il voit comme « une aberration » de courte durée dans l’histoire de l’humanité. « Jusqu’à 1820 les deux plus grandes économies du monde ont toujours été celles de l’Inde et de la Chine ».

Nous assisterons ainsi à « la fin de la domination occidentale ». « Personne en Asie ne veut un Occident faible », précise-t-il. On l’y veut fort « mais pas dominant ».

Ce retour se doit à l’adoption par l’Asie des « 7 piliers de la sagesse occidentale » : l’économie de marché, la maîtrise de la science et de la technologie, le pragmatisme (dont il remarque que la meilleure définition a été donnée par Deng Xiaoping quand il disait « peu importe qu’un chat soit noir ou blanc s’il attrape les souris), la méritocratie, la culture de la paix, l’autorité de la loi et l’éducation.

Absence notable – et soulignée par Mahbubani lui-même dans d’autres textes : il n’y a aucune référence « l’idéologie libérale occidentale » telle que l’entendent les Américains.

Cela implique, pour les Asiatiques, de relever trois défis :

  • Arrêter de copier. Singapour s’est inspirée à sa naissance d’exemples venus d’ailleurs. Maintenant qu’elle figure dans le peloton de tête dans plusieurs domaines elle est obligée d’innover.
  • La gouvernance interne et le fait que les classes moyennes en pleine expansion ont leur mot à dire. « Toutes ces sociétés doivent devenir des démocraties », affirme-t-il, « y compris la Chine. La destination n’est pas en question, le chemin l’est ».
  • Le défi le plus complexe est celui de la gouvernance globale et de la géopolitique. « Les déplacements de pouvoir se traduisent toujours par des conflits » estime Mahbubani et la question est de savoir si la Chine acceptera l’actuel ordre mondial quand elle sera la première puissance économique. Elle a fait preuve de retenue au cours des 30 dernières années. Mais l’attitude à adopter fait aujourd’hui l’objet de « débats » à Beijing entre « faucons » et « colombes » (qu’il appelle à soutenir ce qui révèle une certaine inquiétude).

Quoi qu’il arrive « l’ordre mondial devra subir des modifications ». Ce qui pose la question de l’attitude de l’Occident, et donc, de l’Europe.

Il est tentant de rejeter de telles thèses qui « nous sortent de notre zone de confort » et la plupart des articles le mentionnant en France trouvent ses propos caricaturaux. J’ai tendance, au contraire, à penser que le moment est venu d’envisager qu’ils sont fondés, et que nous devons apprendre de l’Asie (et, pendant que nous y sommes, du reste du monde). Cela s’applique déjà aux façons de gérer les crises économiques (et d’en sortir comme ils l’ont fait après 2007-2008) et cela s’appliquera, sans aucun doute, demain, à l’innovation.

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Crédit photo : Edson walker/Flickr/CC

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...