Les startups au secours des villes et de leurs habitants

A la ville angoissante et monstrueuse d’antan (et trop souvent d’aujourd’hui), Julien Lévy, professeur à HEC, oppose une cité possible qui peut être « rationnelle, anonyme et inhumaine » ou, au contraire, « personnalisée et signifiante » quand l’espace devient « une source d’information et d’intelligence numérique ». Nous pouvons donc choisir et ne manquons pas d’outils pour ce faire.

Il en a montré quelques uns au cours de sa présentation des Tendances 2015 du Forum Netexplo qui s’est tenu, comme chaque année, dans les locaux de l’UNESCO à Paris, les 4 et 5 février. Des innovations trouvées partout dans le monde par le réseau de Netexplo (dont je fais partie). Une des plus impressionnantes est Kappo.bike (Chili) qui utilise les données des cyclistes pour mieux comprendre les villes en partant de l’idée qu’ils en sont les meilleurs explorateurs. NoAd-App.com (EUA) permet de transformer en œuvre d’art toute annonce publicitaire regardée dans le métro de New York au travers de la caméra d’un téléphone ou d’une tablette. Le drone de FlyNixie.com (États-Unis) se porte comme un bracelet qu’on libère pour qu’il nous aide à trouver le bon chemin ou pour filmer nos « exploits ». « Une extension de soi, même dans les airs ». Réalisée aux États-Unis, SickWeather.com protège les paranos du rhume. L’application suit ce qui s’échange sur les réseaux sociaux, géolocalise les messages et en tire des cartes des zones où on a le plus de chance de tomber malade. Sense Ebola Followup (Nigeria) permet au personnel sanitaire de rapporter les cas d’Ebola et les endroits où ils apparaissent. Aux autorités d’allouer les ressources en conséquence. C’est mieux. BlocParc.fr (France) met de l’intelligence dans le béton du mobilier urbain desquels les passants peuvent obtenir – en y collant leur téléphone – des informations locales et actualisés.

Dans tous ces cas il s’agit de « domestication de son environnement » m’a expliqué Lévy par email, « on élimine l’incertitude, l’inconnu, le sauvage, le risque. » Il s’agit de protection plus que d’aventure.

On assiste donc à l’émergence d’une véritable « ergonomie urbaine » que Lévy m’a expliqué en ces termes : « on applique aux villes les mêmes principes qu’aux interfaces ou aux outils digitaux. Il s’agit de penser l’objet par rapport à une expérience d’utilisation. C’est la ville vécue et optimisée à partir de l’expérience individuelle ».

Ces innovations viennent de startups qui se préoccupent d’autant plus volontiers des citoyens qu’ils participent à leur financement. Un tiers environ des applications retenues cette année ont bénéficié de crowdfunding par des gens qui donnent leur argent à des projets utiles ou plaisants.

Lévy insiste sur « l’individualisme connecté » une nouvelle catégorie qui permet d’échapper à l’égoïsme que Tocqueville voyait émerger dès qu’on s’éloigne du lien social. « Les individus piochent dans les ressources en ligne et y contribuent, mais sans militantisme et sans « être ensemble ». Beaucoup des innovations de startups leur donnent des pouvoirs, des capacités sans que cela passe par l’action collective… tout en s’appuyant sur des ressources collectives ». L’app fonctionne comme intermédiaire. Elle puise éventuellement dans le big data qui fonctionne alors comme « ressource d’intelligence » et pas comme un « moyen de surveillance ou de contrôle ».

L’idée rejoint celle développée par Barry Wellman et Lee Rainie dans leur livre « Networked: The New Social Operating System » où ils expliquent comment « l’individualisme en réseau » est devenu un « nouvel OS social ». Une expression qu’il est difficile de traduire en l’occurrence par « système d’exploitation ». « Système de gestion » ou, plus simplement « système d’opération » pourraient faire l’affaire.

Quels que soient les termes, ce qui compte c’est l’introduction d’un nouvel élément dans la tension Datapolis-Participolis qui lie et oppose en même temps les grosses boîtes de technologie et les citoyens activistes (je préfère ce mot à celui de « militant »). Connectés, ces derniers peuvent compter sur des startup qui les aident à « exploiter les ressources des réseaux » comme le dit si bien Lévy dans son mail.

Photo Flickr

Cet article a été publié par La Tribune le 10 février 2015.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...