Barcelone ou la ré-invention permanente

Barcelone ne collectionne pas les prix de ville intelligente et innovante pour rien. Elle y travaille depuis plus longtemps que d’autres (fin des années 90) et dans un nombre plus étendu de secteurs. Mais le changement de municipalité opéré en mars conduit à une nouvelle approche du sujet, transformatrice elle aussi.

La liste des développements techniques mis en place au fil des ans est impressionnante : bus hybrides et abris alimentés à l’énergie solaire, parking intelligent grâce à l’app ApparkB qui permet de trouver les places libres sans trop perdre de temps à les chercher, recours croissant aux LED pour l’éclairage public (plus de 3300 lampadaires dans 160 rues à a fin de l’année), chauffe-eau à énergie solaire obligatoire dans les nouveaux immeubles, et la climatisation par quartiers qui utilise le « brulage » des déchets pour le chauffage et l’eau de la mer pour le rafraichissement. Comble du « gadgétisme » (pas idiot pour autant) un accord récent envisage la surveillance des égouts par des drones.

Une des premières à doter les bennes de capteurs qui permettent un ramassage moins désagréable pour les usagers et plus économe en combustible, c’est peut-être par son approche du ramassage des ordures qu’ellee est la plus connue. Elle a, depuis, adopté des camions électriques qui font moins de bruit et permettent une économie d’énergie de 40%. Puis elle a mis en place, dans certains quartiers, un système de collecte pneumatique. Les habitants viennent jeter leurs déchets (dûment triés) dans des bornes fixées dans le sol et connectés à des containers enfouis dont le contenu est ensuite aspiré. Cela réduit les odeurs nauséabondes et les voyages de ramassage.

Mais cette approche « technocentrée » est aujourd’hui l’objet de critiques acerbes. Elles entraînent, en réponse, un changement de discours qui se limite trop souvent à faire participer les citoyens comme collecteurs de données. Une forme préoccupante de « démocratie de capteurs ». Barcelone, elle, met très concrètement l’accent sur la participation citoyenne, notamment dans des fablabs baptisés Athénées de fabrication.

« L’utilisateur n’y est pas simple consommateur », nous explique Jordi Reyes a L’Ateneu de les Corts. « Il est producteur et designer. Il est impliqué dans les processus ». Il s’agit bel et bien de transformer le modèle des espaces sociaux culturels traditionnels. « Les gens veulent pouvoir décider ce qu’ils vont faire ». De la création d’objets à celle d’entreprises innovantes conduisant à la création d’emplois.

L’initiative est d’autant plus forte qu’elle repose sur une vraie tradition catalane d’Athénées dans lesquels se formaient ceux qui ne pouvaient aller á l’école et où discutaient les tendances ouvrières et contestataires.

L’administration est ravie que les gens aient « envie de faire des choses » et leur dit volontiers « allez-y » mais elle se refuse à ouvrir de tels lieux publics 24h sur 23, 365 jours par an. Elle se conduit parfois, explique Reyes, comme un « despote éclairé » face à des associations qui n’ont pas toujours raison mais qui ont des idées. Un responsable s’est ainsi opposé à un groupe qui voulait créer une banque d’aliments et il a été obligé de dégager. « Il n’a pas su négocier » dit Reyes.

Il y a maintenant quatre Athénées publics à Barcelone à côté, selon Reyes, de 180 espaces socio culturels traditionnels. Raphaël Besson, créateur de l’agence Villes Innovations, compte, pour sa part, une cinquantaine de FabLabs dont 23 créés par des entreprises et 6 « tout public ». « La société civile est en mouvement » se réjouit-il.

La démarche s’étend à l’utilisation d’espaces mis á la disposition des citoyens par le Plan Buits (« vide » en catalan) dont un des fleurons est ConnectHort, un jardin sis en plein cœur de Poble Nou, le quartier des startups. Les membres y développent la permaculture conçue autant comme « agriculture permanente » que comme « culture de la permanence », de la durabilité.

La volonté de transformer Barcelone en ville ouverte à l’innovation et à la créativité remonte aux années 90 et aux efforts pour tirer parti des retombées des Jeux Olympiques de 1992 et des dépenses d’infrastructure réalisées à cette occasion. Elle s’est lancée dans des visions grandioses qui ont donné lieu, par exemple, à l’organisation d’une des conférences les plus importantes au niveau mondial la Smart City Expo World Congress (tenue cette année du 17 au 19 novembre).

Les temps changent et Barcelone est passée à la phase suivante. Celle de la participation citoyenne active.

A Cornellà, municipalité qui fait partie de l’agglomération, le ton est, selon l’anthropologue Artur Serra qui y travaille depuis plusieurs années, à la « création de consensus », notamment avec le projet Cornellà Natura qui vise à « sa transformation en ville plus durable grâce à la participation citoyenne au design et à l’amélioration de l’espace public ».

Mais la participation est difficile à mettre en place. Partout. Toujours. Jordi Reyes, des Athénées de fabrication, note que « 80% des citoyens veulent qu’elle soit possible alors qu’à peine 2% participent dans les faits ». Enfin, les changements d’équipes municipales entraînent presque toujours des réajustements stratégiques. Dirigée par Ada Colau, la mairesse de gauche élue en mars, la nouvelle majorité est arrivée en disant : « Nous ne parlerons pas de smart city, pour nous, une ville intelligente est celle qui compte sur l’intelligence collective de ses habitants ».

Certains fonctionnaires craignent, selon les propos de l’un d’entre eux, « que ce pari [en faveur de la ville intelligente] perde de son intensité et soit maintenu de manière résiduelle dans le programme municipal ».

Il s’agit en fait d’un changement d’angle. Joan Subirats, membre de Barcelona en comú, la formation de Colau, nous explique, par courriel, son opposition aux « visions hiérarchiques et corporatives » qui tendent à dominer en la matière… Il conçoit, pour sa part, la ville intelligente comme une « opportunité de faire se rejoindre la technologie et la capacité de décision des gens sur leurs conditions de vie ».

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 13 novembre 2015.

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J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...