Preuve que nous sortons de plus en plus nettement de la conception « siliconisée » de la ville intelligente, une enquête rendue publique par l’association toulousaine France Urbaine révèle que « la culture de la participation citoyenne s’ancre chez les élus ». 70% d’entre eux en ont fait un enjeu de leur mandat et 26,3% des collectivités ont un budget pour cela. Ajoutons que près de la moitié des élus et des agents interrogés par cette enquête faite en association avec le think-tank Décider ensemble et la Caisse des Dépôts ont reçu une formation sur le sujet. De belles raisons d’être satisfaits et optimistes.

Pas si simple car toutes les « participations citoyennes » ne veulent pas dire la même chose, n’impliquent pas le même accès, le même pouvoir, le même type de participation. Le terme général cache des différences essentielles auxquelles nous devons faire attention pour mieux décider ce que nous voulons vraiment.

Pour y voir plus clair je propose de distinguer entre trois niveaux de « participation citoyenne » selon qu’elle repose sur la fourniture de données, l’émission d’opinions ou la participation à la création et à la gestion d’un projet.

Avec des données

Le premier niveau est la collecte de données qui disparaissent dans un trou noir (souvent privé) où elles sont malaxées par des algorithmes puis utilisées par l’entreprise sans que nous sachions clairement pour quoi faire. C’est la base de notre relation avec Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA). L’opacité du processus, le fait qu’elles s’approprient les données en question et le recours un peu abusif au terme “participation” posent de sérieux problèmes. C’est une chose de l’accepter comme consommateurs. Ça en serait une toute autre de l’accepter comme citoyens et nous devons faire attention à ce qui est fait de nos données de consommation d’eau ou d’électricité par exemple.

Toujours déséquilibré, l’échange peut être visible et direct. L’exemple le plus clair est sans doute Waze, l’app mobile de navigation pour automobilistes. Construite sur nos informations (puisque les cartes sont créées par nos déplacements) l’application nous offre en échange des informations utiles sur l’état de la circulation à un moment donné en un lieu donné. Si l’échange est plus facile à comprendre aucune attention n’est accordée à l’appropriation de nos données qui, par ailleurs, peuvent être utilisées à plein d’autres fins (la publicité par exemple) sans notre consentement.

Avec des opinions ou des voix

Le second niveau consiste à consulter les citoyens pour améliorer les services proposés par les municipalités. Un bon exemple est sans doute fourni par l’amélioration des lignes d’autobus de Singapour. Décidées à encourager leur utilisation les autorités ont fait des sondages qui leur ont permis de comprendre que les véhicules n’étaient pas assez confortables, pas assez bien connectés. Elles les ont améliorés avec un certain succès semble-t-il. A Séoul la ville avait demandé la permission d’utiliser les appels mobiles pour dessiner de meilleures routes pour les autobus nocturnes en suivant de près d’où les gens appelaient un taxi à deux heures du matin et où ce taxi les emmenait.

Les premiers budgets participatifs où les gens pouvaient voter oui ou non sans rien proposer allaient dans ce sens. C’est le cas de certains référendums urbains comme celui de Saran dans le Loiret qui invitait en mai 2016 à se prononcer sur le passage de l’agglomération Orléans Val-de-Loire à communauté urbaine. Ou celui organisé en septembre de la même année sur l’éclairage public par la ville de Firminy dans la Loire.

Avec des projets

Au troisième niveau, les habitants peuvent modifier les propositions de la municipalité voir émettre les leurs. C’est le cas du budget participatif de Rennes (lauréat d’un prix Le Monde-Smart Cities l’an dernier). C’est aussi le cas, par exemple de la consultation organisée pour Métamorphose le projet de transformation d’un quartier de Lausanne. Il faut dire qu’au niveau cantonal et communal la Suisse reconnaît « l’initiative populaire constitutionnelle, mais aussi l’initiative populaire législative, qui donne la possibilité aux citoyens de proposer l’adoption d’une nouvelle loi ».

Paris a lancé l’offre la plus ambitieuse en ouvrant 5% de son budget (100 millions d’euros) à la participation citoyenne. 219 projets (dont 58 dans les quartiers populaires) ont été sélectionnés pour 2017 alors que 3200 avaient été présentés.

Nous sommes donc là dans un cadre de cocréation dans lequel les citoyens concernés sont invités à lancer des initiatives et/ou à participer activement avec des propositions autonomes dès le lancement d’un projet, puis dans sa gestion. Ils exercent ainsi un authentique pouvoir. Et c’est toute la différence.

Chacun de ces trois niveaux peut présenter des avantages. Tous disent volontiers « mettre les citoyens au centre », mais pas de la même façon : comme source d’information, comme clients et utilisateurs de services conçus pour leur faciliter la vie ou comme parties prenantes du pouvoir et de la création dynamique de la ville.

Deux observations pour terminer : la participation citoyenne à la cocréation demande beaucoup de temps. Plus qu’une mandature en général. Elle implique une large participation de la société civile et un dialogue entre les principaux acteurs même s’ils appartiennent à des formations politiques différentes. C’est ce qui a permis à Medellin en Colombie de passer de capitale mondiale du crime à ville la plus intelligente du monde en 2013.

Une des façons d’avancer dans ce domaine est d’approcher les transformations sous l’angle d’amples partenariats entre le public, le privé et la population. Ce qu’on appelle PPPP et dont il est essentiel de ne pas oublier le dernier P.

Preuve que nous sortons de plus en plus nettement de la conception « siliconisée » de la ville intelligente, une enquête rendue publique par l’association toulousaine France Urbaine révèle que « la culture de la participation citoyenne s’ancre chez les élus ». 70% d’entre eux en ont fait un enjeu de leur mandat et 26,3% des collectivités ont un budget pour cela. Ajoutons que près de la moitié des élus et des agents interrogés par cette enquête faite en association avec le think-tank Décider ensemble et la Caisse des Dépôts ont reçu une formation sur le sujet. De belles raisons d’être satisfaits et optimistes.

Pas si simple car toutes les « participations citoyennes » ne veulent pas dire la même chose, n’impliquent pas le même accès, le même pouvoir, le même type de participation. Le terme général cache des différences essentielles auxquelles nous devons faire attention pour mieux décider ce que nous voulons vraiment.

Pour y voir plus clair je propose de distinguer entre trois niveaux de « participation citoyenne » selon qu’elle repose sur la fourniture de données, l’émission d’opinions ou la participation à la création et à la gestion d’un projet.

Avec des données

Le premier niveau est la collecte de données qui disparaissent dans un trou noir (souvent privé) où elles sont malaxées par des algorithmes puis utilisées par l’entreprise sans que nous sachions clairement pour quoi faire. C’est la base de notre relation avec Google, Apple, Facebook et Amazon (GAFA). L’opacité du processus, le fait qu’elles s’approprient les données en question et le recours un peu abusif au terme “participation” posent de sérieux problèmes. C’est une chose de l’accepter comme consommateurs. Ça en serait une toute autre de l’accepter comme citoyens et nous devons faire attention à ce qui est fait de nos données de consommation d’eau ou d’électricité par exemple.

Toujours déséquilibré, l’échange peut être visible et direct. L’exemple le plus clair est sans doute Waze, l’app mobile de navigation pour automobilistes. Construite sur nos informations (puisque les cartes sont créées par nos déplacements) l’application nous offre en échange des informations utiles sur l’état de la circulation à un moment donné en un lieu donné. Si l’échange est plus facile à comprendre aucune attention n’est accordée à l’appropriation de nos données qui, par ailleurs, peuvent être utilisées à plein d’autres fins (la publicité par exemple) sans notre consentement.

Avec des opinions ou des voix

Le second niveau consiste à consulter les citoyens pour améliorer les services proposés par les municipalités. Un bon exemple est sans doute fourni par l’amélioration des lignes d’autobus de Singapour. Décidées à encourager leur utilisation les autorités ont fait des sondages qui leur ont permis de comprendre que les véhicules n’étaient pas assez confortables, pas assez bien connectés. Elles les ont améliorés avec un certain succès semble-t-il. A Séoul la ville avait demandé la permission d’utiliser les appels mobiles pour dessiner de meilleures routes pour les autobus nocturnes en suivant de près d’où les gens appelaient un taxi à deux heures du matin et où ce taxi les emmenait.

Les premiers budgets participatifs où les gens pouvaient voter oui ou non sans rien proposer allaient dans ce sens. C’est le cas de certains référendums urbains comme celui de Saran dans le Loiret qui invitait en mai 2016 à se prononcer sur le passage de l’agglomération Orléans Val-de-Loire à communauté urbaine. Ou celui organisé en septembre de la même année sur l’éclairage public par la ville de Firminy dans la Loire.

Avec des projets

Au troisième niveau, les habitants peuvent modifier les propositions de la municipalité voir émettre les leurs. C’est le cas du budget participatif de Rennes (lauréat d’un prix Le Monde-Smart Cities l’an dernier). C’est aussi le cas, par exemple de la consultation organisée pour Métamorphose le projet de transformation d’un quartier de Lausanne. Il faut dire qu’au niveau cantonal et communal la Suisse reconnaît « l’initiative populaire constitutionnelle, mais aussi l’initiative populaire législative, qui donne la possibilité aux citoyens de proposer l’adoption d’une nouvelle loi ».

Paris a lancé l’offre la plus ambitieuse en ouvrant 5% de son budget (100 millions d’euros) à la participation citoyenne. 219 projets (dont 58 dans les quartiers populaires) ont été sélectionnés pour 2017 alors que 3200 avaient été présentés.

Nous sommes donc là dans un cadre de cocréation dans lequel les citoyens concernés sont invités à lancer des initiatives et/ou à participer activement avec des propositions autonomes dès le lancement d’un projet, puis dans sa gestion. Ils exercent ainsi un authentique pouvoir. Et c’est toute la différence.

Chacun de ces trois niveaux peut présenter des avantages. Tous disent volontiers « mettre les citoyens au centre », mais pas de la même façon : comme source d’information, comme clients et utilisateurs de services conçus pour leur faciliter la vie ou comme parties prenantes du pouvoir et de la création dynamique de la ville.

Deux observations pour terminer : la participation citoyenne à la cocréation demande beaucoup de temps. Plus qu’une mandature en général. Elle implique une large participation de la société civile et un dialogue entre les principaux acteurs même s’ils appartiennent à des formations politiques différentes. C’est ce qui a permis à Medellin en Colombie de passer de capitale mondiale du crime à ville la plus intelligente du monde en 2013.

Une des façons d’avancer dans ce domaine est d’approcher les transformations sous l’angle d’amples partenariats entre le public, le privé et la population. Ce qu’on appelle PPPP et dont il est essentiel de ne pas oublier le dernier P.

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 3 février 2017.

Photo : ville de Medellin – Colombie (Commons Wikimedia)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...