Architecture : évolutive, modulaire, imprimée

Bonjour,

Le bâti bouge. Le dur n’est plus fait pour durer. L’immeuble cesse d’être immuable. Même la pierre n’est plus ce qu’elle était par ces temps qui cavalent.

L’architecture est en train de subir des modifications, peut-être encore plus profonde que les transports dont j’ai parlé la semaine dernière sous le sceau de la liquidité et de la légèreté.

 

En quelques mots…

Courbes

Commençons par la vision des architectes avec deux exemples incontournables : Zaha Hadid et Ma Yansong. Grâce aux logiciels de design aidés par ordinateur et aux progrès de la technologie des matériaux ils s’échappent des lignes droites et des voutes en demi-cercles pour nous faire entrer dans l’univers des sinuosités. La ligne droite s’infléchit. Le dur devient malléable. Le Chinois explique pourquoi « les courbes sont importantes » (Why Curves Matter). Elles évoquent mieux le vivant.

Évolutive et adaptable

Or, la vie, c’est d’abord la capacité d’évoluer. Pas facile avec le bâti… jusqu’à ce qu’on se le propose. C’est ce que fait le cabinet barcelonais d’architectes Archikubik, avec son parking Saint Roch, à Montpellier. Érigé à la sortie d’une gare destinée à disparaître il a été conçu (notamment en respectant la hauteur de plafonds imposée pour les appartements, plus haute que celle pour les parkings) pour avoir deux vies, la prochaine étant un immeuble de logements. L’esthétique y veille. Dans certains appartements, le même cabinet prévoit un espace « à utiliser plus tard » en fonction des évolutions de la famille.

Nouveaux matériaux

Le plus surprenant est peut-être l’abondance de nouveaux matériaux et ce que l’on peut en faire.

La palme revient aux immeubles littéralement « imprimés ». La Skyscraper competition 2018 a doté d’une mention honorable un projet de gratte-ciel entièrement imprimé en 3D.

Shanghai vient d’inaugurer un pont (pour piétons) imprimé en 3D.

J’ai eu le privilège de voir, dès 1996, dans un minuscule laboratoire de Stanford la première réalisation de ce genre. Il sortait de ce qu’on l’appelait alors « fax 3D » un petit Bouddha souriant. J’ai, bien sûr, écrit un article ébloui sur le sujet, mais je n’ai pas envisagé une seule seconde que cette technologie, alors balbutiante, permettrait, un jour, de construire des gratte-ciels. Et j’ose parler de tendances…

Soucieux de se libérer du béton, et des matériaux qui font du bâti le responsable d’environ 40% de la participation des villes au réchauffement global, les chercheurs se sont lancés dans une course effrénée aux substituts, tous plus bizarres les uns que les autres : bottes de paille, Hempcrete ou béton de chanvre, bambou, plastique recyclé pour n’en nommer que quelques uns.

Sans oublier le bois. On est en droit de se demander jusqu’à quel point le recours à de tels matériaux est viable pour la construction de grandes structures mais… Tokyo se propose de construire un gratte ciel de 350 mètres de haut avec des matériaux composés à 90% à partir du bois… En 2041. Pas pour demain donc mais. La liste des projets est déjà longue et le plus grand immeuble déjà construit (dont j’ai pu vérifier l’existence) se trouve au Canada et il fait 18 étages… un peu plus qu’une simple cabane en rondins.

Modularité

Le souci de circularité pousse au recyclage des containers. Ils sont facile à ré-utiliser, et – avantage non négligeable – ils se prêtent à la modularité. Des Espagnols projettent d’en faire des gratte-ciels : Un projet de containscrapers, capable d’héberger 1600 familles devrait voir le jour dans le slum de Dharavi à Mumbai. En 2014, le prix de l’Innovation radicale avait été accordé au Studio OVA de Hong Kong pour son Hive Inn, un hotel fait de containers ce qui permet d’ajouter et de retirer les « chambres » en fonction des besoins.

 La modularité va bien plus loin et peut inspirer de grands architectes comme le montre le projet Blox du Néerlandais Rem Koolhaas.

Dimension sociale

Mais tout cela n’est que jeu de concepteurs, de professionnels. Et les gens là-dedans ? Ils ont de plus en plus la main.

Réalité quotidienne et ancienne hors d’Europe, elle est même érigée en méthode au Mexique (en Turquie et ailleurs), où les habitants construisent leur maison peu à peu, à mesure qu’ils ont les moyens d’ajouter étages ou dépendances, comme le montre Anne Durand dans son livre Mutabilité urbaine.

Ikea laisse ses clients dessiner leur propre cuisine… et commander les meubles dont ils ont besoin. Plus audacieux, Alain Renk et de son cabinet 7 milliards d’urbanistes proposent des « wikibuildings » (modifiables par les habitants) une « architecture collaborative pour maisons, immeubles, quartiers et villes ».

La dimension la plus sociale est peut-être celle des espaces partagés du projet d’Éric Cassar, grand prix de l’innovation urbaine Le Monde-Smart Cities 2017. Il y propose en effet « un bâtiment ou un ensemble de bâtiments où la surface de la sphère intime de chaque foyer est réduite au profit d’une grande variété d’espaces partagés, gérés numériquement entre les habitants ». Cela permet d’accroître l’aire de vie utilisable par chacun et de mieux tirer parti du construit, en même temps que cela encourage les liens sociaux et intergénérationnels.

Accélération et multiplicité des usages

Le bâti bouge donc, et ce, de multiples façons. Il perd sa rigidité et sa lourdeur habituelle pour tenir compte de l’impérative nécessité de s’adapter et de l’accélération du rythme des changements. A la différence des pyramides ou des cathédrales d’antan nous ne construisons plus pour l’éternité, mais pour des usages dont on attend qu’ils changent et peuvent être multiples sans que les concepteurs puissent les déterminer à l’avance. Comme pour la mobilité, les auteurs doivent se dessaisir partiellement de leur autorité et faire la place aux utilisateurs qui, donc, finissent leur oeuvre et se l’approprient.

 

En quelques liens

Pour celles et ceux qui ne l’auraient pas vu je me permets de signaler un entretien avec Geoffrey West, à qui je dois le mot « urbanocène » et plein d’autres choses, publié dans Citynnovation sur le site du Monde.fr.

Le hasard (je jure) fait que The Guardian a lancé cette semaine sa « Concrete Week ». Vous y trouverez plein d’articles (essentiellement critiques) sur ce matériau « brutal ». Parmi eux, ce réquisitoire contre les méfaits du béton et cette exploration des matériaux alternatifs. Et cet itinéraire parmi de superbes constructions qu’il serait idiot de détruire.

Détails sur Hive Inn, le projet d’hotel fait de conteneurs. Et pour ceux qui doutent du concept, voici 12 hotels, un peu partout dans le monde, construits sur le même principe. Sans oublier les autres types de construction dont un hôpital, une école et un restaurant.

Rien à voir mais…

Le New York Times nous raconte pourquoi les spécialistes du cosmos ont des doutes sur le futur de l’univers. Son expansion s’accélère plus que prévu ce qui invite certains à en envisager la fin. Pour la Science et Le Monde abordent le même sujet sous des angles différents. Incapable de le faire de façon scientifique, je vous laisse en tirer les conclusions que vous voulez… mais, cette notion que le temps peut avoir une fin (pas pour demain rassurez-vous) ne me déplaît pas.

Le jury s’est dégonflé et Roma n’a pas obtenu l’oscar du meilleur film. Netflix (qui l’a produit) fait peur. On comprend pourquoi en lisant l’article de Farhad Manjoo qui nous explique qu’à la différence d’Hollywood « Au lieu d’essayer de vendre les idées américaines à un public étranger, l’objectif est de vendre des idées internationales à un public mondial ».

Cette chronique a été publiée le 28 février sur le site Getrevue.co

Photo : Alfred Essa from Woodbury – Bench by Zaha Hadid (Wikimedia)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...