On a bien parlé de culture, d’économie et de média au Forum d’Avignon – le « Davos de la culture » –, qui vient de se tenir du 19 au 21 novembre. Un peu moins de technologies. Peut-être parce que nous avons du mal à changer notre façon d’aborder le sujet.
- Mal comprises, les TIC sont peu discutées en ce qu’elles permettent, mais plus par rapport aux problèmes qu’elles posent aux pouvoirs établis, qu’ils soient individuels (écrivains et artistes) ou le fait d’entreprises (opérateurs) et d’institutions.
- Un des bons points du Forum est qu’on y discute sur la base d’études publiées à l’occasion. Un long débat, bienvenu, a ainsi été consacré à l’importance des données culturelles personnelles. Nos activités et nos consommations culturelles permettent de savoir presque tout sur qui nous sommes et sur nos sympathies. Nous devons pouvoir les contrôler. Pour tenter de sortir de la vision anxiogène, la philosophe Monique Canto-Sperber a fait remarquer que les suggestions d’achat (d’Amazon ou de Spotify) ont pour vertu d’élargir notre horizon culturel, ce qui est le but de la culture.
- Mais les demandes d’interdiction font encore des ravages. Ainsi, Christine Albanel, l’ancienne ministre, a-t-elle défendu sa loi Hadopi et ses mesures punitives.
- Et contre les mastodontes, on en est encore à demander l’érection de murs plutôt que la création de flux. Même si Jacques Toubon s’est prononcé pour « une stratégie numérique européenne » dont on espère qu’elle ne comprendrait pas que des barrières.
Le plus préoccupant a été la publication d’un manifeste intitulé Principes d’une déclaration universelle de l’internaute et du créateur à l’heure du numérique.
- Il a été remis à la ministre, Aurélie Filippetti, sans qu’il en ait été débattu. Ou alors, peut-être, discrètement, en petit comité.
- Les « droits » annoncés semblent ne concerner que les « hommes ».
- On y trouve, comme l’explique en détail le blog S.I.Lex, spécialisé dans le droit à l’ère digitale, une « conception maximaliste de la propriété intellectuelle » qui nie, par exemple, « la possibilité de réaliser des parodies, pastiches et caricatures, pourtant reconnue par la loi au titre d’une exception au droit d’auteur… »
- Invité alibi, Lawrence Lessig, professeur de Harvard, co-créateur de Creative Commons, a confié à Eric Scherer, de France Télévisions, son impression de se retrouver « au Moyen-Âge » quand il est confronté aux élites françaises. Elles discutent des problèmes comme on pouvait le faire dans les années 1990. La question n’est plus d’opposer les tenants du droit d’auteur aux « pirates » mais de protéger les artistes tout en nous laissant tous utiliser les technologies digitales au mieux dans le « contexte naturel de l’Internet ».
Quant au fond, on en est encore au recours à l’État et à la demande de lois et de règlements, qu’ils soient nationaux ou européens. Ce qui revient à aborder les nouveaux problèmes à l’ancienne. Les élites françaises, dans leur majorité, n’ont pas encore assimilé que le digital invite à penser différemment, et nous oblige à agir en conséquence.
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Crédit photo : CC/Chico Ferreira