Article publié dans le supplément Science&Techno du Monde daté du 3 mars

J’ignore combien il y a d’innovateurs bidouillant au fond de leur garage dans les montagnes du Liban avec l’espoir de détrôner Facebook, Google et Twitter. Mais je suis sûr qu’ils trouveront tous les coups de pouce dont ils ont besoin pour démarrer grâce aux « accélérateurs de startups » de Beyrouth.

A défaut d’une définition claire, on peut se faire une idée de ce qu’est un accélérateur au Moyen Orient dans la référence constante à Y Combinator (ycombinator.com), une entreprise de Mountain View. En 7 ans elle a aidé 380 entreprises qui ont séjourné trois mois dans leurs locaux et dans chacune desquelles elle a investi 18.000 dollars en moyenne.

Samer Karam a créé Seeqnce.com en mai 2010 avec 3 de ses copains « qui n’avaient pas de lieu où se réunir. » Il a donc trouvé et remodelé un appartement en plein centre de Hamra, le quartier le plus ouvert aux TIC de Beyrouth. Des séparations vitrées permettent aux startups de s’isoler tout en préservant l’existence d’espaces communs avec une chambre à idées, une war room, une salle communautaire. « J’ai tout conçu et dessiné sur mesure. Tables et murs sont des tableaux blancs sur lesquels vous pouvez écrire. Ça permet aux gens d’être très créatifs. »

Il ne fait aucun doute pour lui que si « à Silicon Valley, la proximité est indispensable au succès, nous en avons dix fois plus besoin. »

Les investissements tournent autour de 200.000 dollars avec, comme objectif « le marché global ». Seeqnce ne s’intéresse qu’aux entreprises ayant pour objectif le profit. Ses deux startups vedettes sont Cinemoz.com qui veut être le Hulu.com du monde arabe et Jogabo.com qui permet aux amateurs de foot du monde entier d’organiser des matchs entre copains avec un mélange de réseau social et de géolocalisation.

A quelques pâtés de maisons de là, AltCity.me se veut un « coworking space avec des fonctionnalités d’accélérateur et d’incubateur, » m’expliquent ses fondateurs Dima Saber et David Munir Nabti. Ils insistent sur la communication humaine, essentielle dans un pays où l’identité est définie par l’appartenance religieuse. « Nous avons des gens ici qui n’ont jamais vu de personnes d’une autre ville, d’une autre secte » explique Saber.

« Nous voulons réunir producteurs de contenu, activistes, codeurs, développeurs, dessinateurs graphiques et entrepreneurs, » poursuit Nabti. « Et pour cela nous mélangeons activités formelles comme ateliers ou conférences et connexions informelles, comme celles que l’on peut développer dans une cafeteria. » On n’y trouve pas que des entreprises sociales. « Pourquoi ne développerions nous pas une version arabe de Angry birds? » s’interroge-t-il. « Mais nous leur insufflons tout ce qui se passe ici et il se peut que leur prochaine application ait un impact social plus grand. »

« Les startups se moquent de nos différences, » estime Habib Haddad qui dirige Wamda.com (une entreprise financée par un fond jordanien qui se consacre elle aussi aux startups dans leur phase initiale et dont les bureaux libanais sont un peu plus loin). « Elles développent leurs produits dans leur garage, à Byblos (au bord de la mer) ou dans les montagnes et quand elles passent à l’échelon supérieur elles vont à Dubaï ou aux États-Unis. »

Le Liban est trop petit pour constituer un marché (4 M d’habitants), mais les nombreux Libanais bien formés qui s’intéressent aux TIC peuvent aspirer soit au marché arabe (un des plus dynamiques) soit à une présence globale – la diaspora libanaise est considérable (entre 12 et 15 M) – et la tentation de partir est alors considérable. Seeqnce, AltCity, Wamda s’efforcent de les coacher sur place avant de les laisser, inéluctablement sans doute, s’envoler. Une limitation qui contient plein de promesses.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...