Les « lois » qui sont censées régir l’internet ont de quoi nous faire sourire. Du moins ont elles l’avantage de nous aider à appréhender certains phénomènes. La plus connue, la loi de Moore aide à comprendre pourquoi on trouve maintenant des microprocesseurs jusque dans les poignées de portes d’hôtel (ils deviennent plus puissants, plus petits et moins chers). La loi la plus récente, celle de Reed, peut nous aider à nous faire une idée de la révolution en cours le jour où l’accès au réseau passe du PC au téléphone cellulaire, c’est à dire à un nombre beaucoup plus grand d’usagers.
San Francisco, Californie, 25.déc.02
Bob Metcalfe a montré que dans un ensemble de nœuds organisé de telle façon que chaque point peut parler à tous les autres (comme le téléphone ou l’internet), la valeur du réseau est proportionnelle au carré du nombre de points connectés. Avoir un seul téléphone ne sert à rien. Plus on est d’abonnés, mieux c’est. Quand on connecte deux réseaux, la valeur de l’ensemble est plus grande que la somme de la valeur de chacun de ces réseaux pris séparément. D’où le succès de l’internet, « réseau de réseaux ».
La loi de Moore date de 1965, celle de Metcalfe de 1980. Depuis, réseaux technologiques et ordinateurs connectés sont pratiquement devenus un phénomène de masse (dans certaines régions en tous cas). Il manquait donc quelque chose. C’est ce vide qu’est venu combler en 1999 la « Loi de Reed » qui ajoute une dimension humaine à la dimension technologique. « Les réseaux qui encouragent la construction de groupes qui communiquent créent une valeur qui croît de façon exponentielle avec la taille du réseau, soit, beaucoup plus rapidement que la loi de Metcalfe. J’appellerai de tels réseaux des réseaux formateurs de groupes ou RFG (Group-Forming Networks, ou GFN, en anglais). »
Dans une interview réalisée par e-mail, David Reed, un entrepreneur et consultant qui a travaillé pour Lotus et enseigné au Massachusetts Institute of Technology, nous explique que sa loi et celle de Metcalfe « sont des lois de croissance qui indiquent comment la valeur d’un réseau est créée pour ses usagers. » La valeur est ici conçue comme celle de la « connectivité potentielle « , c’est à dire « le nombre de choix que les participants d’un réseau peuvent faire (pour s’affilier à des groupes) dans une architecture donnée. »
Pour les usagers cela veut dire que ce qui est important dans le réseau auquel ils se connectent change avec sa taille. Reed explique dans un de ses articles qu’en matière de télévision « content is king » (le contenu est roi): les sources sont limitées à ce que nous disent journalistes et producteurs de programmes, mais c’est cela qui attire le téléspectateur. Par contre, « là où la loi de Metcalfe domine, les transactions jouent un rôle central. Les choses qui s’échangent dans ces transactions (courriels, messages vocaux, argent, valeurs boursières, services et tout ce que vous voulez) sont reines. » C’est l’internet des premiers temps.
Tout change quand le réseau croît encore et quand on inclut la dimension humaine: « les activités formatrices de groupes dominent la valeur créée par un réseau pour ses usagers. Il s’agit de la valeur qu’ils paient avec leur temps/attention ou leur argent, » nous a-t-il expliqué dans son courriel. Il dit ailleurs que « le rôle central est joué par la valeur créée en commun: les chats collectifs, les groupes de discussion spécialisés, les rumeurs ou les « Smart mobs » dont parle Howard Rheingold.
Encore une fois, il faut prendre ces lois avec précaution. Reed lui-même précise: « la faiblesse de la loi de Metcalfe et de la mienne est qu’en fait elles simplifient un problème complexe en le réduisant à une seule dimension (la valeur en fonction de l’échelle et de l’architecture). » L’essentiel, selon lui, c’est de bien comprendre que « les grands réseaux pourraient bien être qualitativement différents des petits réseaux en ce qui concerne leur valeur économique. Cela veut dire que votre sens intuitif de la valeur en tant qu’usager unique ou en tant que petit réseau d’entreprise ne se traduit pas directement au niveau des grands ‘internetworks’ (réseaux de réseaux, jeu de mot avec internet et networks qui veux dire réseaux en anglais). »