Ahmed et Charlie

Dans le désarroi je m’accroche à deux images. La première est celle – vite retirée – du tueur assassinant un homme à terre, blessé, désarmé. J’ai peu d’atomes crochus avec ceux qui ont pour fonction de faire respecter l’ordre, d’empêcher que ça bouge. Et le voleur m’est toujours plus sympathique que le pandore. Je ne suis pas, pour rien, fils de Brassens et de 68, sympathisant de plus d’un trublion.

Mais ils étaient tellement humains ces flics dépassés par les évènements, comme nous le sommes tous. Comme le montre le bordel total aux alentours du massacre pendant les premières minutes. Dépassés, sauf un. Qui comprend que les tueurs ne peuvent pas repartir vers le centre de Paris et a l’intelligence (fatale) de les chercher de l’autre côté du Boulevard Richard Lenoir alors qu’ils prennent le chemin du nord.

On voit l’homme masqué qui cavale en direction du blessé à terre et l’exécute sans s’arrêter plus que ce qu’il faut pour viser la tête. Et, ce qui compte plus encore, de l’autre côté de l’arme, il y a le flic apeuré, courageux, conscient protégeant des gens avec lesquels il n’est peut-être pas d’accord contre des assassins qui pourraient porter le même prénom que lui : Ahmed.

Curieusement, il me fait penser au type en chemise blanche, cartable à la main, devant les chars qui ont écrasé le printemps de Beijing. Un homme seul face à la force destructrice.

L’autre image, que nous ne verrons pas mais que je me représente sans peine (avec horreur) est celle de copains réunis pour bosser dans la bonne humeur, surpris par deux énergumènes masqués qui les abattent froidement, alors qu’ils exercent leur plus belle fonction : cogiter, discuter pour nous faire rire et penser en même temps.

Ce massacre d’un collectif de journalistes – très rare – me fait penser aux attaques – œuvre du même fanatisme – contre l’école de Peshawar au Pakistan et contre Malala. Ils veulent détruire la liberté d’apprendre, de penser et de s’exprimer. De changer. Entreprise d’autant plus dangereuse qu’elle est systématique et brutalement menée par des individus convaincus d’avoir raison.

Ce qui oblige à s’interroger, ne serait-ce que pour marquer la différence. La réaction au massacre est impressionnante. En France et dans le monde. Mais servira-t-elle à quelque chose ? Que peut la plume contre le fusil quand celui qui le porte tire sur la gâchette ? Réflexion et détermination survivront-elles à l’émotion ? Saurons nous réagir avec efficacité et mesure en même temps ? Qu’allons-nous comprendre ? Qu’allons-nous faire ?

L’échelle de l’entreprise destructrice et ses ravages quotidiens nous réveille, nous oblige à agir contre elle. Mais le problème apparaît chez tous ceux qui sont convaincus d’avoir raison et sont prêts, en son nom, à utiliser la force. Ça dérape vite. C’est toujours destructeur, jamais suffisant. A condition que les autres, c’est à dire nous, réagissent/réagissions… Sans fanatisme. En commençant par l’intelligence, le courage, le rire, la dérision, la satire…

N’oublions pas la bande à Charlie Hebdo. N’oublions pas Ahmed.

N’oublions pas ces images.

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Crédit photo : Valentina Cala/Flickr/CC

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...