Ces cartes de métro/bus que nous ne pouvons plus comprendre

A en croire une très sérieuse étude franco-britannique qui vient de sortir on est tenté de recommander aux Parisiens de se défaire de leurs cartes de métro et de bus. Elles ne leurs servent à rien car elles contiennent plus d’informations qu’ils ne sont capables de traiter mentalement.

Les réseaux de transports publics des très grandes villes sont si complexes qu’ajouter des connexions les rend incompréhensibles pour l’esprit humain explique l’article publié par Science Advances sous le titre (abrégé ici) Lost in Transportation. Se défaire de nos cartes serait futile. Essayons plutôt de comprendre ce problème révélateur d’un des plus grands défis posés par l’urbanisation croissante : notre capacité à comprendre et gérer ce qui se joue.

Première constatation d’une recherche effectuée sur les 15 villes aux réseaux de transports publics les plus grands du monde : « la capacité de la mémoire de travail visuelle [une partie de la mémoire à court terme] ne nous permet de garder facilement à l’esprit que les trajets à deux connexions conduisant à un total de 4 arrêts ».

Plus le plan est compliqué plus il faut de temps pour prendre sa décision. Selon l’étude, trouver son itinéraire à Hong Kong ou à Stuttgart est assez simple. Paris dispose, au contraire, d’un « des réseaux de transports les plus compliqués de la planète ». Un honneur, ne l’oublions pas, dans la mesure où les transports en commun permettent vraiment de se rendre à peu près partout relativement rapidement, mais un casse-tête, littéralement.

Face à ce labyrinthe angoissant nous avons souvent tendance à chercher le chemin le plus simple (le moins grand nombre de changements) et pas nécessairement celui qui nous permet de nous rendre le plus rapidement d’un point à un autre.

La situation est encore plus délicate quand on combine différents réseaux réseaux (celui des bus et celui du métro, par exemple), qu’on les inclut dans une même offre de services. C’est ce qu’on appelle la multimodalité. Partant de notre vrai parcours d’utilisateur (et pas des soucis limités des responsables de de chaque mode de transport) elle a pour vertu de nous permettre de mieux intégrer notre vrai parcours d’utilisateur, mais l’inconvénient de rendre l’ensemble plus complexe et plus difficile à appréhender.

Mais pourquoi avons-nous du mal à lire une carte dont le premier objectif est de nous simplifier la vie ? « Parce que les points de connexions jouent un double rôle dans la recherche d’un itinéraire : elles sont à la fois des objectifs et des distractions » nous expliquent les chercheurs britanniques et français (Oxford, Saclay, EHESS).

C’est pour cela que les humains ne sont pas capables d’assimiler des cartes représentants plus de 250 connections, un chiffre vite atteint par les grandes villes et d’autant plus facilement dépassé qu’elles se transforment en mégalopoles (dans lesquelles le nombre de connexions possibles peut dépasser 1800 dès qu’on intègre plusieurs moyens de transports).

Il est amusant de noter, et nos auteurs ne se gênent pas pour le faire que leur conclusion invite à « une interprétation similaire et un même ordre de grandeur que le nombre de Dunbar [qui montre que nous ne sommes pas capables d’entretenir des relations stables avec plus de 150 personnes], et nos résultats peuvent donc être considérés comme des preuves suggérant l’existence d’un « Nombre de Dunbar du transport » pour le traitement des cartes complexes ».

C’est pour cela que les représentations visuelles des grands réseaux de transports publics sur des cartes « sont trop complexes et, en dernière instance, inutiles ». Ces mathématiciens vont plus loin : « Nos résultats impliquent qu’augmenter le nombre d’intersections entre les lignes, ce qui permet de minimiser les transferts a un effet contraire à l’objectif qui est d’avoir un système de transports facilement utilisable ».

Nous ne sommes pas tenus de prendre ces conclusions au pied de la lettre. Mais le problème est révélateur des défis qui nous attendent à mesure que nous nous urbanisons. La ville est symbole de complexité. La mégalopole est le siège de complexités extrêmes face auxquelles même les outils traditionnels de visualisation qui sont sensés nous aider à nous y retrouver ne suffisent plus.

J’en tire trois conclusions.

La première est que la concentration dans les villes peut créer un dynamisme économique sans précédent mais risque de dépasser notre capacité de maîtrise du phénomène. Il faut y faire face car se réfugier dans les campagnes serait illusoire.

La seconde est que nous ne pouvons pas l’aborder avec la panoplie conceptuelle d’antan… nous devons sans doute changer de façon de penser. La linéarité ne suffit plus face à la complexité. Et s’en remettre aux technologies de l’information pour tout régler présente de sérieux risques.

Mais, troisième conclusion, nous pouvons nous en servir comme outils. C’est ce que qu’illustrent parfaitement des applications comme CityMapper ou MoveIt (dont je parlerai bientôt) pour faire face à la trop grande complexité des cartes.

Photo Johann Dréo/CC BY-SA 2.0 (Un plan du métro de Paris, dont les couleurs ont été modifiées par l’auteur, pour le rendre plus lisible, notamment pour les daltoniens.)

Une version de ce billet a été publiée le 1er mars 2016 sur le site du Monde.fr.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...