Un article trouvé ce matin dans la Gazette des communes me fait bondir. On y lit en effet que « Les collectivités se mobilisent pour acculturer les Français aux nouvelles technologies ». Une intention d’autant plus louable que le titre nous dit clairement qu’il s’agit de lutter contre « L’exclusion numérique ». Bravo, mais… attention.

Si je regarde le terme « acculturer » dans un dictionnaire, la définition la plus courante est « Adapter quelqu’un, un groupe à une nouvelle culture » (Larousse). La Gazette n’y est donc pour rien. Mais l’usage est traître et il y a un piège d’autant plus redoutable qu’il fonctionne au niveau de l’inconscient collectif façonné par notre culture et notre langue.

Le préfixe « a » indique « l’absence » selon la rubrique Préfixes en français du site Études Littéraires. Atypique désigne ce qui n’est pas typique, anormal ce qui n’est pas normal, amoral… pas besoin d’allonger cette liste qui menace d’être très longue.

Alors que faire ? Une vérification supplémentaire sur le site eXionnaire (qui se définit lui-même comme un « grosgros [sic] site avec plein de ressources : des mots, des articles, des textes » etc.) nous découvrons que le préfixe indique aussi « la transformation, le changement d’état ».

D’où nous pouvons conclure que si l’usage du terme « acculturer » peut indiquer une transformation. L’ambigüité existe mais l’usage courent penche plutôt vers la privation. C’est tout le problème.

L’Encyclopédie Universelle nous aide à aller plus loin avec l’exemple choisi pour illustrer le terme : « les familles d’immigrants s’installant aux U.S.A seront dites acculturées lorsqu’elles seront « américanisées » ». Il s’agit bien, dans le melting-pot, de leur faire perdre leur culture, ou de les transformer assez pour qu’ils en oublient une bonne partie, voir l’essentiel. L’usage semble d’ailleurs venir de l’américain « to acculturize, « modifier la culture de (un peuple) par assimilation d’éléments étrangers ».

Nous sommes très nombreux, à commencer par les communes de l’article cité plus haut, à vouloir aider ceux qui ont du mal à comprendre et utiliser les technologies de l’information. Mais en leur disant que nous voulons les « acculturer » nous risquons de déclencher en eux la peur de perdre leur culture. Il en va de même quand nous parlons de dématérialisation… qui indique plus la destruction de quelque chose (de tangible) que le passage à un autre état… auquel nous sommes moins habitués et qui peut donc faire peur. Personne ne veut perdre son livre, son steak ou sa maison mais les gens ne manquent pas qui ont envie de voir leurs petits enfants en vidéo ou réserver un billet de train sans devoir se rendre à la gare.

Nous obtiendrions peut-être de meilleurs résultats en parlant d’initiation, de formation, de préparation, d’introduction aux technologies de l’information – sans oublier les dangers qu’elles présentent, de la même façon que nos routes ne sont pas sans risques – dont ils pourront bénéficier dans leur vie quotidienne.

 

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 27 octobre 2017.

 

Photo : Immigrants en train de passer l’examen de santé à Ellis Island, New Yor, vers l’année 1900 (Commons Wikimedia)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...