Les mots intraduisibles ont ceci de merveilleux qu’ils rappellent l’importance du vocabulaire, titillent l’inventivité et poussent au néologisme. Il en va ainsi de « curation », l’activité qui, aux États-Unis (et en Grande Bretagne) consistait à sélectionner les collections d’un musée et à les mettre en scène. Le terme est utilisé maintenant pour la gestion des flux d’infos en ligne. Produire des nouvelles originales reste essentiel, mais nous découvrons tous ensembles que gérer celles qui nous assaillent ne l’est pas moins, pour les journalistes professionnels comme pour les autres.L’image est détestable. Un « curator » est en français un conservateur… c’est presque un contre-sens.Cherchons autre chose. C’est toujours à vous de dire, mais il faut populariser le concept et vous trouverez bien le terme qu’il faut.Mon idée est toute simple. Parmi les métiers consistant à sélectionner et mettre en scène celui de jardinier me paraît plus vivant. J’ai envie d’utilliser webiner, webinier/ère, webinage (rien à voir avec le site qui utilise le mot au sens de voisinage). Mais revenons en à notre sujet de fond.Le webinage, donc, marque une étape dans notre compréhension du web participatif et ouvre les fenêtres sur de nouvelles formes de journalisme et de création à l’ère digitale.Son importance est largement liée au tsunami informatif. A côté de ceux qui produisent des articles originaux il est indispensable d’organiser le flux d’infos et d’opinions. Le plus immédiat se trouve sur Twitter mais, passée la première demi-heure le bruit devient tel qu’il est presque impossible de distinguer ce qui compte du reste.Journaliste ou pas, le webinier (curator) est l’éditeur, le secrétaire de rédaction de l’ère digitale. Il sélectionne articles, tweets, fragments, mises à jour, photos et vidéos qui font sens à ses yeux et ainsi, très vite, à ceux de ses « amis ».Le webinage peut avoir recours aux algorithmes, au web sémantique et à l’intelligence artificielle, mais le webinage humain (human curation) a ses atouts.Eli Pariser, auteur d’un livre sur La bulle des filtres (Filter Bubble) nous trouve encore quelques avantages face aux ordis, notamment notre capacité d’anticiper, de prendre des risques, d’avoir une vision d’ensemble, d’apprécier la confiance que mérite une source, d’opérer des distinctions entre l’Ulysse de Joyce et les LOL cats de Facebook même si le roman ne génère pas autant de trafic.Le webinage est suffisamment important pour avoir déjà donné naissance à plusieurs livres dont Curation Nation, How to Win in a World Where Consumers are Creators de Steven Rosenbaum.Bien documenté il souffre pourtant d’une tendance à la technophilie débridée, quand il invoque, par exemple, l’émergence d’une de « classe de webiniers » ou les « miracles du webinage ». Tout devient webinage aux yeux de Rosenbaum, les communautés par exemple dont il estime que c’est la fonction première. Même les entreprises, les marques comme on dit aujourd’hui doivent se transformer en médias c’est à dire en espaces de « webinage » de leurs propres clients grâce au contenu qu’ensemble ils publient et présentent sur le web.Mais c’est le premier livre qui essaye d’aborder le sujet de manière complète. Il nous livre quelques réflexions utiles.Les webiniers ne sont pas des vampires pour la simple raison que dans la couche digitale on peut partager des contenus sans en priver personne. Au contraire. Ils permettent de redonner aux infos leur vraie valeur d’usage.Partager les contenus (ce que nous faisons tous) ne doit pas nous empêcher, au contraire, de trouver notre voix, de l’inclure dans une « stratégie de contenu ». Ce partage devient lui même création, comme un collage ou un assemblage post-moderne.Sélectionner, mettre en scène, partager apportent de vraies valeurs sociales. Reste aussi, quant on peut, à structurer, à proposer du sens, à aider, en tous cas, à en trouver. PS – Je viens d’ouvrir un nouveau site de webinage du monde des médias sociaux sur Scoop.it
Photo Flickr de chikachika72]