Apparente contradiction : d’une part nous parlons et entendons parler de plus en plus de villes intelligentes. D’autre part, un nombre croissant de ceux qui s’intéressent à l’amélioration des villes et de nos conditions de vie rejettent le terme.
La base de ce qui nous intéresse ici est l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour améliorer les services urbains et la gestion des villes avec, en prime, dans certains cas, la perspective de le faire à moindre frais. Cela ne vaut rien sans l’intégration de multiples dimensions sociales et de développement durable entre autres. Mais ce sont souvent les TIC qui inquiètent.
La question est en fait mal posée. Plus grave, elle est mise en avant par des acteurs qui n’inspirent pas toute confiance. Lancée en 2006, l’offensive est allègrement menée par IBM et Cisco, rejointes par Schneider Electrics, Siemens, Philips, Huawei et quelques autres. Autant d’entreprises qui vivent de l’installation des infrastructures qu’elles nous disent nécessaires. C’est le marché.
Le vrai problème est que leur approche repose essentiellement sur l’installation d’infrastructures permettant la récupération et le traitement centralisé des données. L’exemple le plus connu depuis la coupe du monde de foot qui s’est tenue au Brésil est le Centre d’Opération de Rio (COR) qui réunit les données de tous les départements de la municipalité. C’est indiscutablement utile.
Mais la centralisation présente des risques auxquels nous sommes particulièrement sensibles depuis que nous avons appris le peu de respect qu’ont de nos données personnelles les gouvernements (la National Security Agency aux États-Unis, par exemple) aussi bien que les grosses compagnies TIC (Facebook d’abord, mais aussi Google et les autres).
C’est ainsi que l’on voit des acteurs importants qui tout en reconnaissant l’intérêt et l’utilité des technologies se refusent à utiliser le terme. Cela va de la New Cities Foundation à la conférence parisienne sur les « villes vivantes » en passant par le Laboratorio para la ciudad de la ville de Mexico.
Personne ne veut vivre dans une ville bête mais personne ne rêve d’être espionné et suivi en permanence. D’où la réticence. Cela doit-il nous conduire au rejet des TIC pour améliorer les villes ou en créer de nouvelles qui soient meilleures ? Pas vraiment, à condition de bien comprendre comment les TIC évoluent.
John Markoff a montré dans un livre brillant – What the Dormouse Said: How the Sixties Counter culture Shaped the Personal Computer Industry que l’histoire de l’ordinateur personnel (né à Menlo Park dans les années 60 et 70) a toujours été le fruit d’une tension entre deux conceptions, entre deux camps : les ingénieurs tenants de l’intelligence artificielle qui rêvaient de tout faire résoudre par les ordinateurs et les hippies tenants de l’intelligence augmentée qui les concevaient comme un simple outil. Les premiers semblaient vouloir confier le gouvernail (cyber en grec) et la gouvernance du monde aux ordinateurs les seconds voyaient la relation des humains et des machines plutôt comme une coopération voir une coopétition.
La tension s’est déplacée avec l’apparition de l’internet (années 80) et du web (93) mais n’a pas disparu. Elle a pris deux dimensions essentielles :
- le recueil massif et traitement des données par des algorithmes en opposition/complément avec la capacité de communication horizontale rendue possible par l’architecture de participation du web ;
- la tension entre centralisation (des données entre autres) et l’autonomie aux marges.
Concernant les villes, cela veut dire que nous n’avons pas à nous passer des TIC pour les améliorer sous prétexte que les propositions dominantes sont centralisatrices et invasives. Nous pouvons tout simplement œuvrer à renforcer le pôle de la participation. A la datapolis que nous proposent (avec d’autres termes) les grandes compagnies opposons la participolis plus citoyenne. Et œuvrons pour elle.
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Crédit photo : Laboratorio para la ciudad/Mexico