Un des espoirs suscités par la COP21 tient à la participation officielle des maires et responsables de régions. Face à l’Accord de Paris – généralement reçu comme une fabuleuse promesse insuffisamment contraignante, une « prophétie auto-réalisatrice » selon les propos tenus par Laurence Tubiana à Libération – ils semblent tenir la clé du passage à l’acte dans la lutte contre le réchauffement climatique. Il y a de bonnes raisons pour le penser. Il n’est pas sûr que se soit suffisant ?
Convoqués par Anne Hidalgo, maire de Paris, et Michael Bloomberg, ancien maire de New York et envoyé spécial de l’ONU pour l’événement, plusieurs centaines (le chiffre officiel est 1000, la vérité plus proche de 700) de maires et responsables de territoires « sous-nationaux » se sont réunis à l’Hôtel de Ville de Paris le 3 décembre pour exercer « une pression positive » comme l’a expliqué Le Monde.
Ils ont profité de l’occasion pour montrer, comment ils adoptent des codes contraignants pour la construction des immeubles et des sources d’énergie propres, comment ils développent des pistes cyclables en même temps qu’ils font sa place à la résilience qui consiste à mettre moins l’accent sur la prévention des crises que sur la façon d’en sortir aussi vite et efficacement que possible. Tout ceci, souligne une membre de l’équipe du Natural Resources Defense Council américain sur le blog de l’association, « en chahutant la bureaucratie, en contournant les blocages nationaux et en refusant de se croiser les bras en attendant des actions qui viendraient de plus haut ».
La rencontre de Paris et les travaux qui l’ont précédée leur ont permis de confirmer l’engagement pris par la Convention des Maires de réduire la production de gaz à effet de serre de 40% en 2130, et d’aller plus loin.
Conscients du fait que villes et gouvernements locaux ont sous leur responsabilité un tiers (environ) des efforts à faire pour que l’augmentation de la température ne dépasse pas 2º ils ont adopté une feuille de route ambitieuse détaillée dans le Plan d’action Lima-Paris (ou Agenda des solutions). La Gazette des communes nous explique qu’il rassemble « Quelque 2 250 villes et 150 régions, représentant 1,25 milliard d’habitants, y ont souscrit des objectifs de réduction des émissions de CO2 et d’adaptation aux conséquences du réchauffement, avec des échéances allant du court terme (avant 2020) au long terme ».
Les objectifs d’ensemble sont l’accroissement du nombre de villes et régions qui s’engagent activement dans la lutte contre le réchauffement climatique, un appel mieux organisé et une ouverture aux flux financiers ainsi qu’une coopération plus fine entre les villes et entre tous les niveaux territoriaux.
Joli programme
Voilà un bien joli programme. Mais pourquoi accorder tant d’importance aux maires alors que se trouvaient réunis les chefs d’État et de gouvernement de plus de 170 pays ?
Une réponse concrète – ce qui fait souvent défaut – nous est donnée par Eric Garcetti, maire de Los Angeles, pour qui : « Les villes génèrent 80% de la richesse mondiale, produisent 70% des gaz a effet de serre. Elles hébergent plus de 50% de la population mondiale. Le succès de l’accord dépend en dernière instance des leaders locaux ».
Si nous prenons un seul exemple, pas des moindres, il est vrai, les gaz à effet de serre émis par Tokyo équivalent à ceux des 37 pays les moins polluants d’Afrique.
Dans un bilan tiré pour La Gazette des communes, Pierre Radanne, président de l’association 4D (dossier et débat pour le développement durable), et ancien président de l’Ademe explique que « c’est dans les collectivités que se font les choix d’urbanisme – en particulier de transports -, que se trame le tissu économique, majoritairement constitué de PME, que se développent les circuits courts, les énergies renouvelables, que s’explorent les voies d’adaptation aux impacts du dérèglement du climat … Ce sont les autorités locales qui sont à la manœuvre ». Leur action est d’autant plus urgente que l’Accord de Paris n’entrera en vigueur qu’en 2020. Or nous ne pouvons pas nous offrir le luxe d’attendre.
Rien ne sera donc fait de durable sans les villes et les territoires « sous-nationaux ». Mais dire que la solution passe par eux n’implique pas nécessairement qu’ils sont la solution.
Leurs atouts sont indiscutables. Ils vont de leur proximité avec les gens et les problèmes à leur agilité plus grande. Selon Business Green « ils sont également bien placées pour promouvoir le changement de comportement grâce à leurs relations directes avec un grand nombre de personnes, qu’il s’agisse des communautés urbaines ou des chaînes d’approvisionnement et de leurs clients ».
De vraies difficultés
Mais les difficultés sont tout aussi grandes. La première est d’ordre économique : leur plan coûtera la bagatelle de 6,8 milliards de dollars. C’est « le plus gros obstacle à l’action des villes en faveur du climat » estime la Next City Foundation. Elle souligne aussi le déphasage entre de tels engagements impliquant le long terme et l’horizon des leaders politiques qui jouent leur réélection sur le court terme.
Ça n’est pas tout. Les villes manquent souvent d’autorités sur certaines sources de pollution installées sur leur territoire. Ainsi la ville belge de Gand estime que « 80% des pollueurs industriels sont contrôlés par des régulations nationales plutôt que locales ».
Voilà pourquoi nous devons nous demander si nous pouvons vraiment avoir confiance dans les maires pour relever le défi climatique ?
Réponse : c’est compliqué. Ils travaillent depuis des années dans de multiples organismes dont C40, la Convention des Maires ou l’UCLG (le Réseau mondial des villes, gouvernements locaux et régionaux, etc…).
Leurs décisions ne sont pas plus contraignantes que celles pises par les États, mais ils ne fonctionnent pas de la même façon. La Fondation Next City estime que « ces réseaux ne sont pas de simples espaces de discussion, ce sont des lieux où les villes sont en mesure de comparer les pratiques, mettre en commun expertises et les ressources et prendre des engagements collectifs qui ne nécessitent pas nécessairement d’intervention au niveau national et peuvent conduire à des effets tangibles. Prenez, par exemple, une campagne menée par C40 pour augmenter le nombre de bus électriques à faible émission. En convainquant 24 villes de s’engager à l’achat groupé de 40.000 unités nouvelles d’ici à 2020, la coalition a réussi à négocier une promesse des fabricants de baisser le prix des autobus et de répondre à la demande du marché ».
Plein de bonne volonté donc et des engagements sérieux reposant sur des pratiques développées en commun depuis longtemps. C’est peut-être là que se trouve la différence. Non contraignants, ces accords peuvent être mis en œuvre plus vite, plus tôt, par des acteurs qui sont plus près des gens, ce qui n’est pas une raison suffisante pour leur faire à priori confiance.
La différence essentielle repose sur leur mode de fonctionnement. Sans rivalité directe entre elles, sans territoire à conquérir par la force, villes et régions ont compris qu’elles gagnent à travailler ensemble, à tisser des réseaux, à échanger de bonnes pratiques. C’est tout un mode de relation qui se joue là. Et nous pouvons aller plus loin. C’est aussi parce nos élus locaux sont plus près de nous et de nos problèmes que nous pouvons les pousser à faire preuve de plus d’énergie dans leur effort contre le réchauffement climatique. Les maires tiendront d’autant mieux parole que nous saurons les y pousser.
Commentaires et suggestions sont bienvenus sur @Citynnovation…
Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 18 décembre 2015.