Les villes intelligentes, on en parle, on en rêve, on en a peur. Mais on ne sait pas clairement ni ce que c’est, ni ce qu’on en attend, ni même comment s’en rapprocher. Essayons d’avancer.

Premier point : il n’y a pas de définition consensuelle. La notion initiale qui se limitait à dire qu’une ville était « smart » quand elle utilisait des technologies (digitalisation des services municipaux, serveurs puissants, fibre optique) pour devenir plus efficace n’est plus retenue. Indispensable, la technologie n’est qu’un moyen. Les vrais enjeux de la « ville intelligente » sont plus larges : participation citoyenne, respect de l’environnement, lutte contre les inégalités, résilience, qualité de vie de ses habitants.

Il existe plusieurs « voies » de développement urbain. Au Canada, la ville de Toronto a choisi de laisser Google aux manettes d’un quartier neuf, afin que la firme y déploie ses nouvelles fonctionnalités.

A Helsinki, le nouveau quartier Kalasatama, qui se veut modèle de la ville durable, veut afficher un bilan énergétique neutre en 2030. Divers dispositifs viennent soutenir cet objectif auquel s’ajoute celui de « faire gagner du temps au gens ».

En Asie, Singapour, où Le Monde va remettre ses Prix de l’innovation urbaine le mercredi 11 juillet, avance dans une autre direction. Son gouvernement, qui n’a pas peur d’investir dans le très long-terme, mise sur la recherche pour développer des services urbains plus performants, et sur la robotisation de plus en plus poussée de notre environnement : véhicules autonomes, drones utilitaires…

Ces différents modèles répondent chacun à des caractéristiques politiques et culturelles. Difficiles à juger, plus encore à jauger.

La seule approche à peu près acceptable de la ville intelligente semble provenir d’une modeste administration britannique qui la conçoit « plutôt [comme] un processus, une série de pas grâce auxquels les villes deviennent vivables, résilientes et, de ce fait, capables de répondre de manière rapide à n’importe quel défi. »

C’est bien dans cette modeste direction qu’œuvrent en fait élus, fonctionnaires, entreprises et associations citoyennes. Mais, comme il est difficile de savoir ce dont il est à chaque fois question, il est compliqué d’en évaluer l’efficacité. Les populations concernées (plus de la moitié de l’humanité) n’ont pas d’éléments pour mesurer l’apport des politiques publiques et privées visant à améliorer leurs villes. Les autorités elles-mêmes n’ont qu’une idée imprécise du succès de leurs initiatives.

Deuxième point : la multiplication des données produites par les villes et leurs habitants rend possible une certaine évaluation. Boston a mis en place un tableau de bord accessible à tous pour mesurer l’avancement des travaux entrepris, le succès des services et des plans mis en œuvre. La mairie de Vienne met en ligne de multiples statistiques qui permettent de voir, pour chaque service urbain, quelle est la population touchée, la proportion d’hommes ou de femmes concernés. Les difficultés, au-delà des chiffres, est de s’accorder sur une vision d’ensemble, et de tenir la population informée.

Restent les classements des villes « les plus intelligentes ». Ils fleurissent comme jonquilles au début du printemps, mais sont doublement insatisfaisants, parce que les critères varient et parce que les méthodologies sont rarement rigoureuses. Seule leçon indiscutable, la diversité des résultats montre bien qu’il n’y a pas de modèle.

Dans le même temps, on voit apparaître une « science des villes » ayant pour promoteurs des universitaires comme Michael Batty, Geoffrey West ou Carlo Ratti parmi d’autres. L’enjeu : sortir du relativisme, et trouver un vrai moyen, grâce à la recherche, d’évaluer et de comparer des politiques urbaines. Avec cette éternelle difficulté : comment mesurer ce qui est difficilement quantifiable, comme le bonheur d’habiter dans un quartier ou dans une ville, l’impact sociétal d’un nouvel équipement urbain, ou encore le degré de satisfaction de telle ou telle catégorie d’habitants ? Comme le dit un aphorisme de statisticien souvent attribué à Einstein, « Tout ce qui compte ne peut pas être compté et tout ce qui peut être compté ne compte pas forcément ».

 

 

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr.

 

Photo : Boston, Tremont street (Commons Wikimedia)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...