Ann et Simon se présentent comme des « spécialistes de l’engagement » qui savent faire participer ceux avec qui ils travaillent, notamment au cours de conférences ou de congrès. Ils animent la cérémonie de clôture de la Semaine de la Mode de Shanghai comme des festivals musicaux. Mais aussi en aidant les compagnies – depuis une pizzeria jusqu’à la branche locale de Lexus, le fabricant de voitures – à remettre en question leurs valeurs. « Nous ne fournissons pas nécessairement la solution, » précise Ann, « mais le cadre permettant d’y arriver. Il est fondamental, dans ce domaine en particulier, que fondateurs et dirigeants arrivent à leurs propres conclusions, remettent en questions leurs valeurs et découvrent comment le traduire au niveau des produits ou des services comme des relations avec leurs clients. »
L’entrepreneuriat social permet aux chinois de s’attaquer aux problèmes sociaux sans faire de politique. Nous pouvons peut-être en apprendre quelque chose.Isaac Mao, nous l’avons vu, travaille à une plateforme conçue pour mettre les outils des TIC et sa compréhension des affaires à la disposition des activistes sociaux.Approchant les problèmes sous un angle différent, We-Impact une entreprise de Shanghai, s’efforce de faire assumer leur responsabilité sociale aux entreprises. Elle leur propose un cadre de réflexion et d’action en leur montrant qu’on peut gagner de l’argent tout en choisissant des modes de développement durable.« Nos parents ont apporté le développement. Notre génération doit introduire la responsabilité sociale », m’a expliqué Ann Wang la co-fondatrice chinoise de We-Impact. Elle en a pris conscience en participant à la conférence de Copenhague (2009) sur le changement climatique. Avant elle travaillait dans le luxe et les voyages pour milliardaires.A son retour elle s’est associée avec un Britannique et Simon Kubski, un canadien qui vit depuis 5 ans dans le pays et parle parfaitement la langue. Sans s’opposer frontalement à l’industrialisation à tout prix ils lui ajoutent une touche sociale en s’attaquant d’abord à la modification du style de vie des gens et des entreprises parce que c’est le point de rencontre « des valeurs humaines et de l’action » m’a expliqué Kubski.
C’est ce qu’ils ont fait avec Sophia Pan de P1.cn, un média social qui a connu le succès grâce à la mode de luxe et qui – grâce au travail avec We-impact – est en train d’opérer une mutation.Elle se transforme, m’a expliqué Sophia « en plateforme sur laquelle on partage sa vraie vie avec ses vrais ami ». « Nous sommes motivés par les valeurs plus que par le commerce » a-t-elle ajouté en insistant sur le fait qu’elle veut faire circuler des contributions de qualité. Ce faisant elle risque – et l’assume – de perdre la moitié des membres de son réseau. Mais elle estime – et c’est là le pari de l’équilibre économique – qu’elle réunira les vrais leaders de la jeune génération chinoise qui est « très surprenante, » ajoute-t-elle.Plusieurs éléments interviennent dans l’émergence de ce mouvement.Reconnaissons d’abord que même dans ce domaine il y a une notion de mode comme me l’a fait remarquer Ye Yin une activiste sociale. Ce qui se fait traîne derrière ce qui se dit. Mais c’est commun.Plusieurs m’ont parlé de l’importance des « valeurs » dont ils estiment avoir été privés par la course au développement lancée pour faire oublier les protestations écrasées de 1989. Ils sont conscients de l’accroissement potentiellement insupportable des inégalités sociales et géographiques et du fait qu’ils ne peuvent pas attendre l’action du gouvernement.Ils ont donc décidé de prendre les choses en main tout de suite, une manière de changer la société sans faire de la politique. On comprend que ça intéresse beaucoup de jeunes chinois.Plus intéressant encore, ces jeunes ont l’envie et le souci d’être « civiques », mot employé par Yin Yang, une autre entrepreneuse sociale. Peut-être sont-ils en train de contribuer à la renaissance d’une société civile active.Pouvons-nous en tirer des leçons ?Sans aucun doute pour ceux qui considèrent que nos démocraties connaissent une grave crise du « Politique ».Ce genre d’action n’est plus alors une solution pour déjouer les contraintes imposées par une dictature mais une façon de « faire bouger le schmilblick » alors même que la classe politique s’en montre incapable.C’est sans doute ce qui explique que l’entreprenariat social – la poursuite d’objectifs sociaux par une entreprise soucieuse d’équilibre budgétaire – attire l’attention d’un nombre croissant de jeunes… partout dans le monde.