Tout le monde veut innover. La plupart des entreprises sont convaincues de le faire. Et pourtant, le doute est permis : savons-nous ce qui distingue les innovateurs (individus et entreprises) des autres ?
Ceux qui se posent sérieusement cette question liront avec intérêt « Le gène de l’innovateur » (Pearson), un livre écrit avec la participation de Clayton Christensen, auteur lui même du fameux « The Innovator’s Dilemma » (Harvard Business Review Press).
Reconnaissons d’abord que la métaphore est fatale. Pourquoi parler de gène (d’ADN dans le titre en anglais) si c’est une compétence qu’on peut développer, une pratique qu’on peut encourager ? Mais la lecture de l’ouvrage, qui vient de sortir en français, fournit un excellent cadre de réflexion et presque une feuille de route.
« Une des découvertes critiques de nos recherches est que notre habilité à générer des idées innovantes n’est pas totalement une fonction de l’esprit (mind), elle provient aussi du comportement (behavior) », expliquent les co-auteurs Jeff Dyer et Hal Gregersen. « Une bonne nouvelle qui veut dire qu’en changeant ce dernier, nous pouvons améliorer notre impact créatif ».
Fruit d’une étude menée sur huit ans, le livre met en avant cinq qualités trouvées chez une centaine d’innovateurs allant de Jeff Bezos, d’Amazon à Pierre Omidyar, d’eBay, sans oublier les patrons de boîte qui bougent comme A.G. Lafley de Procter & Gamble.
Ils distinguent quatre types d’innovateurs :
- les créateurs de startups,
- ceux qui lancent des projets innovants dans les grandes entreprises,
- les « innovateurs produits »,
- et ceux qui mettent en œuvre de nouveaux processus.
Business et technologies sont toujours intimement liés.
Tous ces gens-là mettent systématiquement en œuvre cinq pratiques:
- ils observent,
- questionnent,
- maillent,
- expérimentent,
- et font preuve d’une habilité surprenante à « connecter des champs, des problèmes ou des idées entre lesquels les autres ne voient pas de relations ».
Le meilleur exemple nous est fourni par l’œuvre de Steve Jobs lui-même, dans laquelle on retrouve toujours « (1) une question remettant en cause le statu quo, (2) l’observation d’une technologie, d’une compagnie ou d’un client, (3) une expérience ou expérimentation visant à tester quelque chose de nouveau ou (4) une conversation avec quelqu’un ayant attiré son attention sur une connaissance essentielle ou sur une opportunité ».
C’est en procédant de la sorte qu’il aspirait à « laisser une éraflure dans l’univers », en bon français : « faire bouger le schmilblick ».
Pour les entreprises, l’innovation est d’abord affaire de processus. Celles qui innovent « encouragent, la remise en question, l’observation, le maillage et l’expérimentation par leurs employés ». L’association d’idées se pratique dans les multiples formes de brain storming. Et tout dépend de l’attitude de la direction. Bezos demande aux candidats à l’embauche s’ils ont déjà inventé quelque chose. « Je cherche des gens qui croient qu’ils peuvent changer le monde » sans quoi innover a moins de sens.
L’ensemble doit se retrouver dans « une culture qui encourage tout le monde à innover et à prendre des risques intelligents ». D’où l’idée que « l’innovation est l’affaire de tous » et pas simplement des labos ou des directions de l’innovation ».
Pour les auteurs « les dirigeants de haut niveau […] doivent mener la lutte pour l’innovation en comprenant comment elle fonctionne en améliorant leurs propres capacités à découvrir et en affutant leur habilité à encourager les innovations des autres ».
C’est pour ça que les entreprises dans lesquelles la hiérarchie est sacro-sainte ont tant de mal à innover. Ce qu’un étudiant assistant à une de mes conférences à parfaitement compris dans ce résumé lapidaire : « Mais dans le fond, innover, n’est-ce pas désobéir » ?