J’ai profité de mon dernier jour de vacances (il y a trop longtemps déjà) pour visiter la toute nouvelle Fondation Niarchos sise en bordure du port légendaire du Pirée d’où l’on peut voir et, peut-être, comprendre Athènes.

Conçue par Renzo Piano (à qui nous devons Beaubourg, ne l’oublions pas) l’édifice lui-même est une superbe construction qui s’élève en bord de mer. Elle abrite un Opéra et une bibliothèque nationale encore vide de livres mais ni d’ambitions ni de sens. Différente de celle qu’il avait conçue à Paris il y a plus de 40 ans, celle-ci abrite, outre quelques ouvrages en papier « des connections virtuelles au reste du monde. Il ne s’agit plus seulement des livres  mais de l’esprit [qui s’en dégage] a-t-il expliqué à la revue Yatzer.

Le Phare

Une pente douce faite de jardins monte vers un toit léger, chapeauté d’une immense terrasse baptisée « Le phare » d’où l’on jouit d’une vue souffle-coupante sur la vallée dans laquelle est née la civilisation urbaine européenne.

J’y ai passé des heures d’émotion intense occupées par la fantasmagorique impression que ce spectacle contenait tout ce qu’il faut pour comprendre ce qu’est une ville. A la table d’à côté des étudiantes étaient en train de préparer leurs cours. Des popes majestueux ont traversé l’espace alors que des parents montraient leur ville à leurs enfants qui ne l’avaient jamais si bien vue.

De ce « phare » l’œil balaye en effet une immense vallée entourée de montagnes et presque totalement couverte de maisons. Au centre, l’Acropole, couronnée du Parthénon, dresse encore les colonnes voulues par Périclès (et légèrement retouchées).

Athènes m’est soudain apparue comme une évidence. Entourée de montagnes, installée au cœur d’une vallée riche, irriguée de trois rivières débouchant sur un port qui l’ouvrait sur le monde, elle pouvait construire son cœur sur une hauteur dont elle pouvait tout voir alentour. Un autel pour les dieux, un port pour le commerce, des rivières pour l’eau, une immense plaine pour l’agriculture et un bouclier naturel pour se défendre des attaques. Conçue dans un tel site, Athènes ne pouvait que s’imposer. Cet écrin, ce lieu à la fois ouvert et fermé, se prête à l’émergence naturelle d’une identité sans laquelle il n’y a pas ville qui dure.

Mais la géographie ne saurait tout expliquer. La dynamique sociale et politique qui s’en est emparée ne pouvait qu’attirer les gens des alentours et même de loin.  

Le hasard n’est pour rien dans la décision prise par Barack Obama de prononcer en ce lieu symbolique un de ses derniers discours à l’étranger (en novembre 2016). « Car c’est ici », a-t-il alors déclaré, « il y a 25 siècles, qu’entre les collines rocailleuses de cette ville qu’une nouvelle idée a émergé. Demokratia. Kratos – Le pouvoir, le droit de diriger – vient de demos – le peuple ». Illustration péremptoire de cette idée essentielle selon laquelle le terme « Smart City » est d’abord un pléonasme. Nos villes sont aujourd’hui pleines de problèmes, d’inégalités, de pollution mais nous n’avons pas fait grand-chose de plus intelligent pour faire avancer l’humanité.

Un espace de vie privilégié

Reste à continuer de les mettre à jour, une fois encore (et ça ne sera pas la dernière). De ce phare on voit bien que les municipalités (600.000 habitants dans le cas d’Athènes) ne correspondent qu’insuffisamment aux dynamiques réelles. C’est dans leur cadre qu’on vote. Elles gèrent un budget (alors que la Grèce n’a pas encore de vrai cadastre). Mais, ce qui compte c’est l’espace de vie des gens – précisément celui qui s’étend sous les yeux du visiteur du « Phare » – l’étendue bâtie, l’ensemble des maisons, des édifices, des rails de trains, de métro, des lignes d’autobus, des rues et des avenues sans solution de continuité. Athènes c’est donc 3 millions d’habitants qui circulent d’un bout à l’autre de cette immense vallée, sans prêter grande attention aux découpages administratifs et politiques, toujours en retard.

Ce « phare » splendide, propice à la réflexion ne saurait, pour autant, nous faire oublier que cette ville de soleil souffre terriblement aujourd’hui. Des quartiers entiers semblent sinistrés. Appartements délaissés et boutiques fermées arrachent l’œil dans trop de pâtés de maisons de quartiers trop nombreux. Trop d’Athéniens ont dû regagner les maisons frustes de leurs familles dans l’intérieur des terres ou le long des côtes. Mais la ville demeure. Elle vibre toujours. Elle renaîtra dès que les temps seront meilleurs. Elle reste plus que jamais ce que nous avons fait de plus durable. Et continuera de l’être condition d’évoluer, de faire face au futur.

La Chine…

L’éternelle Athènes s’y projette d’au moins deux façons.

Elle figure dans l’intention symbolique de Piano avec son plan audacieux : « C’était presque une idée infantile : j’ai simplement levé la surface du sol pour faire sa place à l’architecture » a-t-il déclaré à The Architects Newspaper. On peut donc faire aussi haut et voir aussi loin que l’Acropole, ce qui ne va pas sans poser de problèmes. Il est critiqué pour les sommes dépensées. On le critique même d’abuser en qualifiant de « vert » un projet qui mobilise beaucoup de ciment malgré ses jardins étendus et sa production d’énergie renouvelable. Légèrement admiratif malgré lui, un Athénien qui passait par là m’a dit lui reprocher d’être d’abord un symbole de la privatisation dans un pays en crise.

Des difficultés avec lesquelles les Européens ont du mal à se solidariser mais dont les Chinois savent tirer parti. Leurs investissements au Pirée ont pour but d’en faire la tête de pont méditerranéenne de la nouvelle route de la soie sur laquelle ce lointain pays asiatique est en train de construire une partie essentielle de son développement comme de son expansion. Un futur difficile à contrôler pour les Athéniens… mais qui voit loin.

Longue vie à nos villes…

 

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 23 octobre 2017.

 

Photo : Athènes (F. Pisani)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...