La métropolisation des grandes villes françaises donne de plus en plus de poids à quelques grands centres, capables d’attirer vers eux les ressources et les énergies humaines. Mais la création, depuis 2012, des métropoles, si elle acte un changement administratif, n’a pas été synonyme d’un changement de perspective.

Dans les métropoles de Lyon, comme de Nice, pour ne citer que deux exemples, le maire de la plus grande municipalité est le président de la métropole. On se contente d’agrandir la ville-centre, d’en repousser le périmètre. Avantage réel : le nouvel ensemble se trouve dans une meilleure position pour la compétition nationale et internationale. L’ensemble constitué correspond mieux à la réalité d’une population qui vit presque toujours à cheval sur plusieurs communes.

Mais cela ne change en rien la nature des problèmes existants, et peut même les aggraver. Sur un territoire plus vaste, les inégalités sont souvent plus grandes, les disparités plus difficiles à compenser. Les citoyens ne savent plus qui est responsable de quoi. La simple coordination des services informatiques à toutes ces échelles peut prendre plusieurs années. Car toute extension ajoute de la diversité (espaces péri-urbains, voir ruraux), et donc de la complexité.

Dans ce nouveau contexte, les liens tissés entre une métropole, ses territoires et ses communes adjacentes sont plus cruciaux que jamais. Toulouse apprend ainsi à négocier avec Fleurance, ex-zone rurale en crise du Gers. Bordeaux arrive à tisser des liens avec Libourne, et s’y essaye même avec Marmande.

C’est notre conception de l’espace qu’il nous faut revoir. Les cartes classiques des territoires, qui nous montrent les villes, les régions, les états et leurs frontières ne donnent qu’une vague idée de comment y vivent les humains. De nombreux géographes s’intéressent aujourd’hui à ce qui circule entre ces territoires, comme le faisait Jean-Christophe Victor dans Le dessous des cartes. Ces nouvelles représentations ont été renforcées par des livres comme La ville des flux d’Olivier Mongin, dont Erik Orsenna a écrit qu’il évoque à merveille « la course générale à la connexion ».

La métropole de demain, sera, selon lui, « branchée sur le plus de routes possibles. Routes réelles, comme celles de la mer ; d’où la course au rivage. Routes virtuelles, comme celles de la Toile. Routes mi-réelles, mi-virtuelles comme celles de la Finance ». Ce qui circule compte plus que ce qui ne bouge pas.

Pour le comprendre, il faut changer de logiciel : accorder moins d’importance à l’esprit de clocher, et plus au son des cloches qui communiquent. Moins se concentrer sur la taille des aéroports que sur le nombre de villes auxquels ils nous permettent d’accéder par des vols directs (la variable qui compte le plus quand on veut mesurer leur impact sur le développement d’une agglomération).

Quand on procède ainsi, tout change. Bordeaux, par exemple, n’est plus tenue de compter seulement sur les ressources présentes sur son territoire. Elle peut puiser dans les atouts des autres villes auxquelles elle est connectée : son université a multiples conventions et partenariats avec plus de 500 établissements en France, en Europe et même dans le monde. La Lyonnaise des Eaux y a installé un de ses deux centres de R&D. Ubisoft, leader dans le domaine des jeux vidéo est en train d’y créer un autre pôle européen à côté de ceux de Paris et Berlin.

C’est toute une stratégie possible qui émerge. Les flux connectent des territoires de taille et de nature différente (commune rurale, métropole, capitale…) comme ils irriguent des secteurs d’activité distincts mais susceptibles de s’enrichir mutuellement.

Un territoire ne vit pas à une seule échelle : il faut l’appréhender à différents niveaux en même temps. Prendre en compte les déplacements pendulaires entre le domicile et le travail, l’acheminement des pièces ou des marchandises, les données transmises entre laboratoires de recherche répartis en différents points du territoire, voir du globe.

Pour avoir une chance de rendre nos villes plus intelligentes, il faut commencer par les visualiser différemment. Et comme tout ceci ne se fait pas en un jour, nous devons sans doute commencer par répondre à la question : jusqu’où devons-nous penser la ville différemment ?

 

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 16 Novembre 2017.

 

Photo : Christelle Enault (http://christelleenault-illustration.tumblr.com)

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...