Peu nombreuses encore, les villes intelligentes ne sont déjà plus ce qu’elles étaient. 2015 semble avoir marqué un basculement d’une conception basée sur le recours massif aux technologies de l’information (haut débit, big data, internet des objets etc.) à une approche plus participative et citoyenne.
« Bien que toujours importantes, les solutions informatiques, ne sont plus l’élément déterminant » explique Pawel Adamowicz, maire de la ville polonaise de Gdansk dans un article publié en décembre dernier par le Huffington Post (US). « Nous devons nous concentrer sur les attentes des habitants, la nécessité de coopérer étroitement avec les communautés de la ville. […] L’idée forte d’une ville vraiment intelligente est d’utiliser la technologie pour résoudre les problèmes des habitants. […] La question est : le fait-elle réellement ».
Une telle évolution n’est pas limitée à l’Europe. En Inde, par exemple, alors que le projet « Smart Cities Mission » de transformer 100 villes et d’en rajeunir 500 autres (pour 15 milliards de dollars) lancé par Narendra Modi est généralement bien accepté, on commence à voir s’élever des voix pour demander plus d’attention à la participation citoyenne.
Sachin Kalbag, chroniqueur influent du quotidien The Hindu et responsable de son édition de Mumbai écrivait le 25 décembre dernier: « Si le but ultime de la Smart Cities Mission est d’améliorer la vie des gens nous devrions commencer par rendre les villes plus vivables. L’appeler Liveable Cities Mission (Mission des villes vivables) permettrait au gouvernement d’élargir la définition pour rendre les villes plus inclusives. Il ne s’agit pas d’un simple changement d’infrastructures, mais d’un changement de comportement ».
On retrouve la même préoccupation un peu partout, de la journée organisée par Le Monde à Paris le 20 novembre dernier à celle qui s’est tenue trois jours plus tard sur le « Futur des villes » dans le sud-est Asiatique. « Là où Singapour doit de développer, par rapport à d’autres, c’est peut-être dans l’écoute de ce que les citoyens veulent, de ce que les différents groupes d’intérêt veulent. Elle doit prendre une approche plus bottom-up de la planification. Je pense que les dirigeants en sont très conscients maintenant et qu’ils y font attention » a déclaré Peter Edwards responsable du campus local de l’Institut fédéral de technologie de Zurich.
Les pistes sont innombrables. Au début du mois dernier, CityMetric, le site consacré aux villes par le magazine britannique The New Statesman rappelait qu’un nombre croissant de villes « ont recours à des plateformes de cocréation pour aborder des sujets aussi difficiles que la mobilité, la qualité de l’air ou la régénération urbaine ». Les exemples retenus ont de MiMedellín en Colombie á NextHamburg en Allemagne.
Le tournant est d’autant plus significatif que l’idée d’utiliser les technologies de l’information pour améliorer les villes n’est plus toute jeune. Elle remonte – pour autant que j’ai pu démêler l’écheveau – à 2005. C’est l’année au cours de laquelle l’ancien président américain Bill Clinton a suggéré au patron de Cisco d’utiliser les capacités technologiques de son entreprise pour améliorer les villes. Il s’y est aussitôt lancé avant d’être rejoint, en 2008, par IBM qui ne voulait pas laisser passer un tel marché.
C’est aussi en 2005 que les Coréens ont lancé un projet de 12 villes intelligentes conçues sur la notion d’informatique omniprésente (ubiquitous computing). Une vision audacieuse aux résultats limités dont un des concepteurs m’a déclaré (il y a trois ans) qu’elle doit dépasser le niveau strictement basé sur la technologie pour acquérir une dimension plus sociale.
Cette conception issue de l’enthousiasme sans limite du grand virage de la transformation digitale (1995-2005) reste trop souvent la référence quand on parle de villes intelligentes.
L’année 2015 est importante dans la mesure où elle marque le passage d’une époque où on mettait essentiellement l’accent sur l’infrastructure à une époque où l’on fait attention aux besoins réels des gens et, dans le meilleur des cas, à leur participation au design et à la gestion de leur environnement urbain. Un tel virage est propice à des discours grandiloquents d’élus de tous bords. Mais loin d’être seulement éthique, social ou politique il s’agit d’abord d’une question d’efficacité. C’est à cela que nous devons être attentifs en 2016.
Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 6 janvier 2016.