La France bénéficie d’une bonne expérience dans le développement des infrastructures urbaines. La Chine est le plus gros marché potentiel dans ce domaine et cherche des partenaires partout dans le monde. Dialogue et collaboration sur le développement des villes intelligentes ne peuvent donc que bénéficier à tout le monde. C’est sûrement vrai, mais plus facile au niveau des intentions que des actions concrètes comme vient de le montrer la réunion France-China Leaders organisée à Bordeaux, le 14 novembre, par le Club du XXIème siècle.
L’importance du thème en Chine a été soulignée par l’intervention du professeur Wang Guangbin, vice doyen de l’Université de Tongji à Shanghai. Trois chiffres en donnent une « petite » idée : il y a aujourd’hui 193 villes intelligentes pilotes et 1839 programmes en cours. En 2015 seulement, 2 milliards d’euros seront investis dans ces projets.
EDF, Vivendi, Veolia, GDF-Suez, la SNCF, pour ne mentionner que quelques entreprises françaises, sont sur les rangs. Mais en nous accueillant au début de la conférence (à laquelle je participais), Fanchen Meng, du cabinet de chasseurs de têtes Heidrick & Struggles, a introduit les débats en disant : « Nous aimerions que vous nous aidiez en nous montrant des cas de villes intelligentes françaises exemplaires. » Il s’intéresse à l’agglomération plus qu’à des technologies séparées.
Claude Rochet, professeur des universités, enseignant à l’Institut de Management Public et de Gouvernance Territoriale d’Aix-en-Provence, va plus loin. Il attribue la difficulté du dialogue au fait que les Français tendent à prendre les problèmes secteur par secteur alors que les Chinois – « qui ont tout compris » – l’abordent de façon intégrale.
« Ils ont une vision industrialisante du développement des smart cities qui établit une corrélation entre urbanisation et développement, » m’a-t-il précisé par mail. « La politique urbaine est un élément clé d’une politique de développement industriel économique, social et politique. Ils ont une vision intégrative de la ville. »
Les Européens, par contre, « ont des offres sectorielles performantes, comme dans le cas de la France qui est un leader en équipements urbains, et pensent leur politique en termes d’offres sectorielles. »
Lors d’une conférence européenne tenue à Amsterdam l’an dernier, Terence Yap, CEO de Smart China, opérateur chinois pour villes intelligentes, avait expliqué: « Une approche holistique de la planification urbaine est vitale pour s’assurer que la ville est à l’épreuve du futur. » Beaucoup d’entreprises le disent mais ne le font pas toujours. En Chine, c’est essentiel. Comprendre que ce pays diffère du reste du monde en termes de rythme d’urbanisation, d’échelle et de complexité est indispensable pour livrer les bonnes solutions au bon moment, ajoutait le communiqué publié à cette occasion en guise d’avertissement déguisé.
On peut se demander alors si les propositions de plateformes centralisant l’action de tous les départements d’une municipalité – comme dans le cas de Rio de Janeiro -, ne répondent pas précisément à cette demande. D’autant que c’est loin d’être un caprice ou une incompréhension. « Les entreprises ont intérêt à cette approche centralisée et orientée techno car elles y voient un business model clair, celui de la collecte de données et du management », m’a expliqué par mail Leila Turner, directrice générale adjointe de FaberNovel, qui participait à la conférence.
La logique est claire mais la difficulté profonde quand il s’agit des smart cities et de la Chine. Pour Claude Rochet « la pensée positiviste occidentale privilégie une vision techno-centrée et non systémique de la ville, comme addition de systèmes techniques, ce que j’appelle « la collection de smarties ». Alors que les Chinois ont une vision stratégique et holistique du développement urbain, les Occidentaux n’ont qu’une vision bien souvent commerciale qui ignore les grands enjeux et peine à intégrer la dimension systémique de la ville. »
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