Moscou est une ville énorme (plus de 16 millions d’habitants) et développée dans laquelle les entrepreneurs décidés à conquérir la planète ne manquent pas. Dans le domaine des technologies de l’information, leur appétit rappelle la formule de Marc Andreessen selon laquelle « le software est en train de manger le monde« . Le software russe, en l’occurence, puisque la Russie fait bien partie du petit groupe de pays dans lesquels la qualité exceptionnelle des ingénieurs et les énormes ressources financières disponibles permettent de penser et d’agir global.J’en ai pris conscience quand Andrey Gershfeld, du fond ABRT, m’a signalé à propos de la création de nombreux fonds d’investissements au cours des derniers mois que « beaucoup d’argent vient d’entrepreneurs qui ont fait fortune offline. Ils ont peu d’expertise en matière de TIC mais ils ont l’ambition qu’il faut et assez de capital. » Cette phrase contraste avec ce que j’entends trop souvent partout où je vais : il y a de l’argent mais ceux qui le détiennent n’osent pas encore s’aventurer dans le virtuel et dans le capital risque. La Russie vit donc incontestablement un point d’inflexion qui permet d’envisager bientôt des flux relativement stables.Quant aux ingénieurs, tout indique que leur réputation est fondée. Il suffit de retenir comme exemple le fait qu’une équipe de l’Université d’État de technologies de l’information, d’optique et de mécanique de Saint-Pétersbourg vient de remporter en mai, à Varsovie, le titre de championne du monde de programmation. Et ça n’est pas la première fois. Il y avait trois universités russes dans les 10 premières, à laquelle on peut ajouter une biélorusse (Harvard est septième et Stanford 14ème).Mais, pour conquérir le monde, il faut des conquérants.J’en ai rencontré un en la personne de Serguei Beloussov. Patron et fondateur du fond d’investissement Runa Capital, il m’a expliqué dans son bureau de Moscou que « nous ne faisons pas d’affaires en Russie mais nous utilisons de la technologie et des équipes russes pour faire des affaires au niveau global. » C’est à dire, essentiellement aux États-Unis et en Europe de l’ouest. « L’Inde et l’Afrique ne sont pas importantes, » précise-t-il en réponse à une question sur la taille de ces marchés. « Il y a plus d’utilisateurs mais il y a moins d’argent et il en sera ainsi pendant encore un long moment. »Runa Capital se spécialise, selon sa propre formule, « dans tout ce qui est programmable : cloud, mobile, logiciels. C’est tous la même chose ou presque pareil. » Beloussov est connu comme fondateur et président de Parallels, le système de virtualisation qui permet (entre autres) d’utiliser des programmes conçus pour Windows sur un Mac dont le « moto » est « Utilisez le software dont vous avez besoin sur le hardware de votre choix » (Run the software you need on the hardware you want).Ses succès passés lui permettent de réunir l’argent nécessaire à un fond et l’atout russe sur lequel il mise – le « différentiateur », comme il dit – est « la capacité de mettre au point des logiciels complexes extrêmement technologiques », sophistiqués à l’extrême.A l’appui de sa thèse, outre Parallels, il donne l’exemple de Nginx, une compagnie qui produit le logiciel « qui fait tourner Facebook, LinkedIn et Spotify » et dont Wikipedia nous apprend qu’il est utilisé par 25% des 1000 sites web les plus visités.Dans un autre domaine, il cite le jeu online World of Tanks qui repose sur des représentations graphiques fidèles et « des restitutions mathématiques extrêmement complexes ». La compagnie qui a lancé le jeu est biélorusse mais appartient clairement à la même école. Du temps de l’Union Soviétique, toutes ces universités appartenaient au même système reconnu pour sa qualité notamment dans le domaine des maths et de la physique.D’une façon plus générale il pense que l’informatique russe est particulièrement performante dans le domaine des logiciels scientifiques comme la bio-informatique, mais aussi la sécurité (avec Kapersky, par exemple), les moteurs de recherche (comme Yandex qui tient tête à Google en Russie), le data mining, « tout ce qui vient des mathématiques et qui implique des systèmes ou des algorithmes complexes ».Paradoxalement, Beloussov illustre sa volonté globale par un mépris mal caché pour les très nombreuses entreprises russes qui se lancent depuis deux ans à la conquête du marché national. « Les Russes constituent 2% de la population mondiale, » m’a-t-il expliqué, « tout ce qui se concentre sur le marché russe est condamné à être insignifiant ».Ce à quoi les autres rappellent en souriant que le dit marché est maintenant avec 70 millions de consommateurs le premier marché européen. Et que tout, ou presque, y est à faire. Mais c’est une autre histoire. J’y reviendrai.