Première réflexion évidente même si elle est souvent ignorée, l’ère de l’urbanisation massive dans laquelle nous sommes est une vraie menace pour la santé pour au moins deux raisons :
- Elle est productrice d’agressions (comme la pollution), de stress (comme la circulation) et d’inégalités. Ainsi estime-t-on aujourd’hui à un milliard le nombre de personnes vivant dans des bidonvilles… insalubres, presque par définition.
- Indépendamment de leurs avatars liés aux multiples tentatives ou expériences de privatisation et aux réductions des budgets des États et des territoires partout dans le monde, les services de santé ont le plus grand mal à suivre le rythme même de l’urbanisation. Même si certaines villes commencent à sérieusement limiter le droit de fumer (Pékin et Shanghai), à imposer les boissons sucrées (Mexico) ou à limiter le sel dans le pain pour contenir la tension artérielle (Koweit).
Villes intelligentes et santé
La question est donc : les efforts pour les rendre les villes intelligentes contribuent-ils à améliorer la condition sanitaire de leurs habitants ?
Première question : en quoi les technologies peuvent-elles aider ?
Prenons quelques exemples.
- La possibilité de communiquer d’un smart phone par vidéo permet aux médecins de « voir » leurs patients « à domicile » plus fréquemment. Établie à Nashville dans le Tennessee, la société Dose Helathcare permet aux patients de s’offrir une visite virtuelle à domicile de leur médecin qui peut même leur faire parvenir les médicaments dont ils ont besoin.
- A Dubai E-Etermenan (assurance en arabe), une app pour le suivi des maladies non contagieuses, devrait permettre d’offrir un service « préventif, prédictif, personnalisé et participatif » et de faire des économies de 500 millions d’euros en traitement du diabète, des maladies cardiovasculaires et de dépistage du cancer du côlon.
- A Singapour (qui a une des populations les plus âgées du monde), les seniors (plus de 60 ans) bénéficient d’une carte spéciale appelée Green Man + qui leur permet d’obtenir quelques secondes supplémentaires pour traverser.
- C’est aussi dans cette ville que Selene Chew, une jeune chercheuse, a développé une BlindSpot, une canne intelligente pour aveugles leur permettant de communiquer avec leur environnement social et physique assurant ainsi des déplacements moins dangereux.
- Même les nouveaux matériaux de construction peuvent contribuer à améliorer la santé des habitants des villes comme le révèle le projet d’immeubles « avaleurs de pollution » qui devraient voir le jour à Prague l’an prochain.
- De façon plus ambitieuse on assiste à l’émergence d’une nouvelle forme de santé centrée autour des données. Cela va d’un recours accru de la digitalisation du suivi médical au séquençage génomique pour obtenir des traitements totalement personnalisés entre autres.
- Mais, comme toujours, il est vital de bien évaluer les risques que l’on encoure en matière d’exposition des données personnelles.
Mais, gardons-nous d’aller trop loin trop vite dans la mesure où, par exemple, les différents gadgets qui permettent de prendre en permanence les données relatives à nos activités physiques, ne semblent pas donner les résultats escomptés. En tous cas les utilisateurs semblent les abandonner au bout de quelques mois.
Développement durable et participation
Les villes, cependant, ne tirent pas leur intelligence que de la connectivité. La volonté de plus en plus répandue d’assurer un développement urbain durable y contribue tout autant.
Deux des dimensions les plus prometteuses sont :
- La détection de la contamination à laquelle peuvent contribuer les téléphones, les capteurs disposés en de multiples endroits ou même les voitures de Google chargées de prendre les images de « Street View », sont capables, depuis peu, de détecter les fuites de méthane.
- A côté du recours croissant aux énergies renouvelables, la recherche de l’efficacité énergétique permet de réduire à des coûts raisonnables, la consommation d’énergie en isolant mieux les bâtiments ou en mutualisant les techniques de réchauffement et de refroidissement au niveau du quartier, par exemple.
C’est ainsi que nous arrivons à la troisième dimension indiscutable de la ville intelligente : la participation citoyenne et son impact sur la santé.
- Copenhague est un bel exemple d’une ville qui prend de plus en plus en compte la santé de tous grâce à la participation de tous. Un des responsables du plan ambitieux mis en place par les autorités explique que « pour que les programmes de santé marchent réellement il faut établir des partenariats avec la société civile, les lieux de travail et les individus ». Les citoyens les plus exposés sont ceux qui, venant de l’extérieur, ont un problème de langue, d’où la mise en place de programmes multilingues.
- L’agriculture urbaine source (encore modeste) d’économies sur le transport des aliments pousse les citadins à un minimum d’exercices physiques et à développer ensemble des jardins où ils tissent des relations communautaires. Cela peut se faire sans le moindre recours à la connectivité, même si cette dernière peut aider pour la prise de rendez-vous ou l’organisation de réunions collectives.
Nous insistons depuis longtemps sur le fait que doter les villes de plus d’intelligence est un processus. Au point d’affirmer qu’il n’y a pas de « ville intelligente » mais des agglomérations urbaines qui font de considérables efforts pour le devenir, grâce à des projets du type de ceux que nous récompensons dans les Prix de l’innovation Le Monde-Smart Cities qui seront remis ce vendredi à Lyon.
Après une première étape d’accent mis sur l’informatisation des municipalités et des métropoles, le consensus est maintenant que ces efforts impliquent les stratégies de développement durable et la participation citoyenne.
Villes inclusives et ouvertes
Ça n’est sans doute pas tout. Pour qu’une ville participe à l’amélioration de la santé de ses habitants il faut aussi qu’elle soit inclusive et ouverte. Inclusive au sens où elle lutte contre les inégalités et fait participer tout le monde à l’amélioration des services et du milieu comme le montre l’exemple de Copenhague cité plus haut. C’est indispensable si l’on songe que 100 millions de personnes deviennent plus pauvres chaque année. Ouverte à ceux qui arrivent de l’extérieur qui viennent de toute façon et que nous avons toujours intérêt à bien accueillir. C’est bien pour cela qu’un grand nombre de municipalités américaines s’opposent à la politique de Donal Trump visant à chasser les sans-papiers. Hambourg, à l’opposé, la ville s’est organisée – grâce à la participation citoyenne – pour accueillir de façon apaisée des dizaines de milliers de migrants comme l’explique cet article du Monde.
De même qu’il n’y a pas de ville intelligente mais des processus pour les rendre plus intelligentes, il n’y a pas une seule forme d’intelligence urbaine, toutes indispensables : la connectivité, le développement durable, la participation citoyenne, l’inclusivité et l’ouverture.
Comment en serait-il autrement puisqu’on distingue au moins 9 types d’intelligence humaine.
Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 6 avril 2017.
Photo : Homme vert indiquant que l’on peut traverser une rue (Flickr Dominic Alves)