The Circle, le tout récent livre qui donne de l’urticaire aux passionnés de Silicon Valley, fait partie de ces romans qui aident à comprendre ce que les discours (et communiqués de presse) empêchent de voir.
Il montre, en forçant le trait, ce que devient un monde dans lequel nous adoptons tous une technologie conçue pour nous faciliter la vie. Ce que peut faire une entreprise poussée par une logique de conquête mal cachée derrière une formule d’apparence morale, en l’occurrence : « Tout ce qui arrive doit être connu ».
L’histoire est celle de l’irrésistible ascension de Mae Holland, jeune californienne naïve embauchée par « la compagnie la plus puissante de l’internet ». The Circle – c’est le nom de l’entreprise – permet d’accéder à tous les coins du net avec un mot de passe unique.
La force du dispositif tient au partage des informations personnelles, à la Facebook. Ça permet de tout trouver en quelques instants, à la Google. Les utilisateurs sont aussi fanatiques que ceux des premières années d’Apple.
Un ingénieur de génie au nom russe évoque Sergey Brin de Google même s’il porte un survêtement à capuche comme Mark Zuckerberg de Facebook. Mais toute ressemblance avec la réalité est le pur fruit du hasard et l’auteur se défend d’avoir mené enquête. Salman Rushdie dit bien qu’écrire de la fiction c’est mentir. Ça sert aussi à la promouvoir.
La toute puissance de l’entreprise tient aux ressources croisées des identités uniques et de minuscules caméras de surveillance placées dans les moindres recoins par les utilisateurs avides de tout savoir de leurs proches et leurs semblables.
L’idéologie conquérante de l’entreprise tient en trois formules choc élaborées grâce à Mae : « Les secrets sont des mensonges. Partager c’est aimer. La vie privée c’est le vol ».
L’obsession est la transparence. Mae qui montre ses faits et gestes à un auditoire qui se compte parfois en dizaines de millions de personnes enregistre et donne accès à toutes ses données biologiques et à tous ses réseaux.
The Circle n’est pas de la grande littérature au sens où les personnages sont falots et n’évoluent guère. Mais les piques sont bien portées.
Le site de Wired, et quelques autres chantres du tout Silicon Valley, accusent Eggers de ne pas comprendre l’internet. Il comprend nos comportements et c’est plus important. Au lieu de mettre en cause les outils, la fable pointe son doigt accusateur vers la façon dont nous nous en servons. L’histoire montre aussi que les sœurs du privé peuvent devenir tout aussi dangereuses que le grand frère public à la Orwell. Très utile à l’heure des retombées de l’affaire Snowden.
Pour alerter il faut parfois exagérer. Ce que font les auteurs d’essais sérieux comme Evgeny Morozov ou Jaron Lanier dont l’extrémisme finit par choquer notre rationalité. Dommage. La merveille, et l’utilité de la fiction, n’est-elle pas la « suspension de l’incrédulité ». Ça permet parfois de mieux comprendre.
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Crédit photo : CC/Julian Stallabrass