Le terme « placemaking » – littéralement « la fabrication d’espaces », mais je préfère « création » – se retrouve de plus en plus fréquemment dans les textes anglo-saxons et révèle une approche relativement nouvelle des espaces urbains. Il s’inspire d’actions très concrètes qu’on retrouve un peu partout dans le monde.
Moqueuse, Wikipédia en français rappelle que l’expression est née chez Walt Disney pour « décrire la rénovation thématique entière d’une zone des parcs à thèmes, qui s’accompagne en général d’un ajout de nouvelles attractions ». Pas vraiment sérieux.
Pour sa sœur ainée, anglophone, il s’agit d’une « approche multifacétique de la planification, du design et de la gestion des espaces publics. Le placemaking tire parti des ressources, de l’inspiration et du potentiel d’une communauté locale avec l’intention de créer des espaces publics qui promeuvent la santé des gens, le bonheur et le bienêtre. C’est politique en raison de la nature de l’identité des lieux. Placemaking est à la fois un processus et une philosophie ».
Actrice sur le terrain, l’ONG Project for Public Places définit le même concept comme « un mouvement tranquille qui incite les gens à ré-imaginer collectivement et à réinventer les espaces publics comme cœurs de leur communauté ».
Gros avantage, l’approche peut-être promue aussi bien par les municipalités que par les communautés locales comme le montrent la « revitalisation » d’Adelaïde en Australie et de multiples aspects de la transformation de Paris.
L’enjeu est considérable mais les recettes manquent. Urbanistes et designers s’efforcent de créer des espaces favorables au développement de communautés. Mais personne n’a la recette. C’est ce que reconnaît l’architecte Tyler Caine quand il se limite à écrire que la seule chose qui soit claire c’est que « le design des espaces affecte les activités qui s’y déroulent« . Dit plus simplement : il est facile de constater que tel lieu donne lieu à une vie riche alors que tel autre est trop souvent désert mais personne ne sait vraiment quels facteurs ont été les plus importants.
Mais Caine en tire un conseil sage : « une partie de la solution consiste, de la part de toutes les parties impliquées, à lâcher le volant et à laisser la communauté opérer avec sa propre magie et créer son propre destin ». Une phrase qui fait écho à ce véritable mantra formulé (il y a longtemps) par Mark Zuckerberg, le patron et fondateur de Facebook : « on ne peut pas créer de communautés, on ne peut que leur offrir des outils élégants ».
C’est exactement ce qui s’est passé à Zaragoza en Espagne, une des villes durement frappées par la crise de 2008. Un groupe d’architectes, d’organisations citoyennes et différents services de la municipalité ont lancé EstoNoEsUnSolar (dont la traduction pourrait être « ceci n’est pas un terrain vague »). Un programme pour transformer plusieurs espaces inutilisés de la ville en un réseau d’espaces publics.
Depuis sa création l’initiative – inspirée en partie de l’acupuncture urbaine dont j’ai déjà parlé à propos de Curitiba au Brésil – a permis de créer des dizaines d’emplois, de réaménager 42.000 m2 sur toute la ville. Elle a bénéficié de la participation de 60 associations.
Au cours de ce travail les divers acteurs ont été frappés par la relation entre les mauvaises conditions matérielles de ces lieux et l’affaiblissement de la vie sociale et de la culture des quartiers environnants. Une claire démonstration du fait qu’on ne peut pas isoler les espaces publics de leur dimension sociale.
Partenaire d’un cabinet d’architectes partie prenante de cet effort de transformation, Patrizia di Monte explique : «Nous comprenons l’architecture et l’urbanisme comme un moyen de créer une plate-forme qui peut produire de multiples routes, intersections et interactions ». Un des principaux postulats du programme étant qu’il s’agissait de « découvrir des espaces qui pourraient devenir des lieux ». Ou comment transformer des terrains abandonnés en plexus de vie communautaire susceptibles de redonner vie à toute une ville.
Cet article a été publié par La Tribune le 17 juin 2015.