Yasmine E-Mehairy n’a pas encore d’enfant. C’est sans doute pour cela qu’un beau jour de l’automne 2010 elle a été frappée par les bouleversements qu’entraînait la grossesse de sa belle-sœur, la difficulté qu’il y avait à trouver des informations utiles, l’impossibilité de choisir dans le déluge de conseils de tous ordres donnés par les innombrables femmes de la famille.« Nous sommes très sociales », me confie-t-elle avec un grand sourire, plein de fierté culturelle. « Sociales » au sens où elles communiquent beaucoup entre elles, se racontent leurs histoires, partagent des pans entiers, même intimes, de leurs vies. Ça n’est pas une raison pour mépriser les TIC. Et ça constitue peut-être même une piste pour comprendre comment les nouveaux médias, type Facebook ou autre, explosent dans des sociétés comme l’égyptienne.C’est alors qu’a surgi l’idée de SuperMama.me (.me pour Middle-East… même si le nom de domaine est attribué au Montenegro. Beaucoup d’entrepreneurs arabes ayant des vues sur la région s’en servent), un espace de discussion pour futures mères où elles peuvent trouver conseils d’experts et récits d’expériences semblables. « Mais beaucoup plus vite et plus facilement ».SuperMama se veut une communauté, espace de discussion et de partage autant que lieu d’accès à tous les experts voulus, des nutritionnistes aux psychologues. On y trouve des conseils pratiques sur comment gérer son temps et son argent et des outils comme un calendrier de la grossesse, de quoi gérer son budget ou surveiller son poids. Tout ceci en arabe et en anglais.Yasmine et ses associées se targuent aussi d’avoir introduit le concept de paternité avec l’espace « Daddy Darling » dans lequel elles essayent d’impliquer les pères dans la vie de leurs enfants. « Quelque chose d’inconnu dans le monde arabe, » dit elle avec un sourire un tantinet provocateur. Au moment où je l’ai interviewée les deux premiers articles portaient sur la préparation des vacances familiales et sur les différentes modalités de contraception masculine. Elles comptent beaucoup sur la curiosité des hommes, vite titillée face à un site réservé aux femmes.Lancé le 1er octobre, le site semble prospérer. « Il y a 5 millions de femmes en ligne dans le groupe d’âge qui nous intéresse, » raconte Yasmine. Elle leur apporte un service qui n’existait pas.Mais pourquoi constituer un site spécifiquement égyptien (surtout dans sa version en anglais) si les futures maman d’Égypte comme d’ailleurs peuvent trouver tout ce dont elles ont besoin sur le web.La réponse est presque coupante: « Tous ces sites manquent de localisation », c’est à dire d’informations adaptées aux circonstances spécifiques du pays, voir même de la région. « Il y a moins de soleil en Europe et vos sites abondent de conseils sur comment résoudre le problème du manque de vitamine D. Mais une égyptienne qui les suivrait pourrait vite passer à des doses toxiques. Le climat n’est pas le même », m’explique Yasmine dans le hall de la conférence ArabNet.me qui s’est tenue au Caire à la fin du mois d’octobre.Sa beauté, sa présence et sa personnalité, le port du hijab, la qualité de son travail et le potentiel du marché contribue au fait qu’elle a attiré l’attention des investisseurs. SuperMama.me a déjà été récompensé dans deux concours de startups et a obtenu des financements du Danemark et des États-Unis.Mais innove-t-elle…? Sûrement en Égypte, sans doute dans la région. « Nous sommes les premières à réunir des articles sur le sujet, à ouvrir des espaces de discussion, à offrir des outils d’organisation online, à récompenser les utilisatrices avec des badges qui leur permettent, par exemple de devenir « reine de la cuisine » ou « papillon social » et de devenir ainsi des SuperMamas », répond Yasmine sans le moindre doute ni la moindre hésitation.La volonté de localiser n’est pas nouvelle et les méga sociétés multinationales sont les premières à s’en préoccuper… ou du moins à dire qu’elles le font. Mais rien n’indiquent qu’elles ont la moindre idée sur la bonne façon de procéder. L’innovation pourrait fort bien porter dans ce cas sur la méthode de « localisation » c’est à dire le fait de savoir parler d’un problème aussi universel (difficile de faire mieux) que la grossesse et l’accouchement en l’adaptant aux conditions locales.Concernée par des problèmes spécifiques elle peut fort bien trouver de meilleures réponses à des questions qui se posent partout.Quant à la question posée au fond, elle est de savoir si nous n’avons pas trop tendance à envisager l’innovation comme quelque chose d’absolu ou en tous cas de toujours nouveau et toujours global quand les innovations de sont peut être jamais que relatives, aussi bien dans le temps que dans l’espace.A la tête d’une telle entreprise on se demande si Yasmine ne sera pas bientôt tentée d’utiliser les services qu’elle propose. « Je ne suis pas pressée, » me répond-elle avec son sourire jovial, « j’attends de trouver le superpapa ».[Crédit Photo : Francis Pisani]