Les laboratoires d’Intel consacrés à la recherche fourmillent d’ingénieurs. Normal. Mais il est difficile de ne pas être surpris quand on apprend qu’ils comptent aussi avec une équipe de dix anthropologues baptisée. A quoi peuvent donc servir des spécialistes de l’étude des cultures humaines dans une société qui fabrique des microprocesseurs?
« Nous nous intéressons aux gens, à ce qui compte pour eux et à leurs petits rituels » nous a déclaré Genevieve Bell dans une entrevue qui s’est déroulée dans les locaux du siège social à Santa Clara, au sud de la Baie de San Francisco, alors que son laboratoire se situe à Portland dans l’Oregon.
« Au lieu de nous demander quel problème technologique il faut résoudre, nous demandons ce que la technologie devrait faire pour les gens », précise-t-elle.
Un long périple asiatique
En 2002-2003, son travail de terrain l’a conduite dans 19 villes de 7 pays d’Asie. Elle a vécu dans des familles, posant des questions sur l’importance de l’âge, du sexe, la conception de l’espace ou du temps, s’efforçant de distinguer entre l’idée que les gens se font d’eux-mêmes ou de leur vie et la réalité de leurs pratiques.
L’autre moitié de son travail consiste à convaincre les ingénieurs qu’il vaut la peine. Elle se transforme alors en conteuse, en « story teller ». « Un peu comme Ésope, nous disons des fables pour dé-centrer la perception du monde de ceux qui nous écoutent. Elles doivent transmettre la dignité de la vie des autres à un auditoire qui a tendance à croire que tout le monde voudrait être américain ».
L’impact dépend beaucoup de ce qu’elle qualifie de « surprises anodines ». Le fait, par exemple que les malais musulmans interrogent leurs portables pour trouver la direction de La Mecque lorsqu’ils veulent faire leur prière loin de chez eux. « C’est simple et provoquant face aux conceptions occidentales de technologie et de modernité ».
Elle raconte aussi le problème qui surgit quand les points d’accès WiFi conçus aux États-unis pour des maisons de 250 mètres carrés se révèlent inadéquats dans des pays comme Singapour où les gens vivent dans des appartements de 50 mètres carrés. Certains sont convaincus que les imprimantes sont habitées par les esprits lorsqu’elles se mettent à cracher des documents envoyés par quelque voisin et qui passe par un routeur trop puissant.
Les portables comme objets culturels
Cela prouve, estime-t-elle que « les téléphones portables sont autant des objets culturels que technologiques. Ils ont de multiples sens ». Des sens qui changent suivant les lieux.
En occident l’identité est centrée autour de l’individu rappelle-t-elle. « Ailleurs » elle passe souvent plus par le clan, la famille, le village. Cela explique peut-être que dans certains foyers tous les membres utilisent indifféremment n’importe lequel des téléphones de la maison (en général celui qui est le plus chargé).
Dans une entrevue à la société de consulting GoToMedia elle explique ce point en disant que les connections qui comptent ne sont pas entre individus mais entre réseaux sociaux. Peu importe si c’est un parent qui répond au téléphone car « n’importe quel membre du foyer sait ce qui peut être communiqué à l’extérieur du réseau ».
Que pensez-vous de ces « surprises anodines » que Genevieve Bell aime balancer à tout bout de champ?