Ceci est la suite de l’entrevue que j’ai eue il y a quelques jours avec Genevieve Bell, anthropologue chez Intel (voir ce billet).

A la suite d’une série d’anecdotes « surprenantes et anodines », sur la façon dont les gens d’autres cultures utilisent les appareils conçus aux Etats-Unis, je lui ai demandé si son travail pouvait contribuer à changer la façon qu’ont les Américains d’utiliser la technologie ? Elle a hésité avant de répondre : « Nous ne pouvons pas les transformer mais nous pouvons ouvrir leurs horizons. L’anthropologie consiste aussi à montrer des miroirs aux gens ».

Partie en quête d’une hypothétique « classe moyenne globale » cible idéale des produits d’Intel et de Silicon Valley, cette australienne, docteur en anthropologie de l’Université de Stanford, pense aujourd’hui que la téléphonie cellulaire « renforce le local et même le foyer ».

Les portables ça sert (presque) à toucher

« Les diasporas ont changé » raconte-t-elle à titre d’exemple. Elles pratiquent le SMS, l’envoi de courts messages écrits sur leurs portables, d’un bout à l’autre de la planète. Bell raconte l’histoire d’une indienne de 60 ans qui rédige soigneusement ses textes sur papier avant de les transmettre à son fils aux États-unis. Elle y raconte les programmes de télé qu’elle voit, les amis qu’elle rencontre. Résultat : « Je me sens plus près de ma mère » raconte le fils. Au point qu’il a du lui demander d’arrêter de lui conter par le menu les plats qu’elle mijotait pour le dîner. Ça le remplit d’une nostalgie qui lui brise le cœur.

« Les téléphones portables permettent des usages qui ressemblent à des gestes physiques. C’est presque comme toucher » estime Bell. « Ils réinscrivent profondément les pratiques locales avec des personnes qui se trouvent de l’autre côté de la planète mais auxquels ils étaient déjà liés ».

Genevieve Bell explique « comment les pratiques culturelles façonnent les relations des gens avec les nouvelles technologies de l’information et de la communication ». Ça permet de suggérer des usages imprévus mais aussi des résistances.

Quand on lui demande si elle arrive à influencer non seulement les ingénieurs de sa société de microprocesseurs mais les entreprises qui fabriquent les téléphones portables, elle répond avec un grand sourire assaisonné d’un petit soupir : « Il est bon d’avoir un métier difficile. »

A vous de dire maintenant ce que vous pensez de cette coopération entre ingénieurs et anthropologues.

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...