Installé à Paris qu’il considère comme la « capitale mondiale du transport », Ross Douglas ouvre le 18 octobre Autonomy, un salon sur la mobilité.

Après avoir réalisé des documentaires sur l’environnement et des événement culturels, comment en êtes-vous venu à la mobilité ?

Étrange parcours. Je suis sud-africain et entrepreneur. Je vivais et travaillais en Afrique du Sud où j’avais acquis une compagnie d’organisation d’événements culturels. Je voulais lancer un business à l’international pour aider les startups à trouver des investisseurs. J’ai débuté à Lagos. Pour participer à trois meetings par jour je devais passer 6 heures en déplacements à 4 km/h, avec des niveaux terribles de pollution alors que je pouvais participer à 7 meetings par jour, à bicyclette, pour un coût de 10 euros à Copenhague. J’ai réalisé que l’utilisation des voitures en ville prendra fin, particulièrement dans les économies émergentes en raison de leur urbanisation massive. Physiquement, il n’y a plus d’espace.

N’avez-vous pas commencé comme documentariste ?

J’ai réalisé des films sur l’environnement et la vie sauvage qui m’ont amené à m’intéresser au réchauffement climatique et donc au besoin de réduire les émissions de carbone. C’est difficile à faire en limitant les vols d’avions. La seule manière est de s’attaquer au transport personnel. Utiliser un véhicule de deux tonnes pour transporter une personne de 80 kg d’un point A à un point B c’est de la folie.

D’où votre intérêt pour les bicyclettes ?

Steve Jobs a dit un jour que « l’ordinateur est l’outil le plus remarquable que nous ayons inventé, c’est l’équivalent d’une bicyclette pour nos esprits ». Il saluait ainsi l’intelligence de la bicyclette. L’être humain est l’animal le moins efficace en terme de calories dépensées pour se déplacer. Par contre, monté sur une bicyclette, il devient le plus efficace de tous les animaux. C’est particulièrement vrai en ville où la plupart des trajets sont de 4-5 kilomètres.

Comment êtes-vous arrivé à Paris ?  

Paris est la capitale du transport et personne ne le sait. Au niveau politique, elle promeut les nouvelles solutions de mobilité et veut devenir la première ville post-voiture. Elle doit proposer des nouvelles solutions de mobilité car elle a la plus grande densité en occident. Plus on se rapproche des jeux olympiques, plus la ville devra faire preuve de créativité afin de trouver des moyens de déplacer les gens.

A quoi correspond votre choix d’organiser un événement sur ce sujet ?

Face à une industrie en croissance rapide nous avons besoin d’un temps et d’un endroit physique où les gens se rassemblent, collaborent, s’engagent, regardent ce que les autres font et concluent des deals. Par exemple, cette année nous avons une version complète du Volocopter (doté de 18 hélices). Les villes comprennent que les air-taxis vont arriver, mais tant qu’elles ne voient pas leur taille, rencontrent les gens qui les fabriquent, elles ne comprennent pas de quelle infrastructure elles ont besoin ni les problèmes qui y sont associés.

Quelles sont les tendances les plus intéressantes dans la mobilité ?

Au sortir de votre appartement à Paris, vous verrez sans doute une trottinette électrique Bird. Lancée à San Francisco il y a un an la société a déjà permis de réaliser 10 milliards de trajets. Un chiffre extraordinaire pour une entreprise nouvelle. Et c’est très inquiétant pour les Européens. Ils sont excellents dans la construction de bonnes solutions d’ingénierie, qui grandissent lentement, ville par ville. Mais, Chinois et Américains sont excellents dans la levée de grosses quantités d’argent qu’ils rentabilisent rapidement.

Il y a aussi les voitures autonomes dans lesquelles les plus grandes compagnies investissement des sommes colossales. Reste à comprendre leurs motivations exactes. Je ne crois pas qu’elles tiennent à leur intérêt pour les transports qui sont un business difficile. Il faut plutôt chercher du côté des espaces tiers où les gens dépensent beaucoup d’argent et de temps. Aujourd’hui il y a plein de pub à la radio pour des gens assis dans leurs voitures durant les heures de pointe. Avec un véhicule autonome ils pourront utiliser ce temps pour nous vendre des choses directement sur Amazon, Netflix, LinkedIn, Facebook, Twitter, Instagram, etc. L’enthousiasme pour le véhicule autonome tient à cet espace tiers qui sera grandement prisé pour la vente au détail.

Je vous croyais sceptique sur les voitures autonomes. Vous ais-je mal compris ?

Ce qui fait fonctionner les villes c’est d’avoir des personnes dans les rues. C’est pourquoi elles sont si agréables à visiter (particulièrement en Europe). Vous y trouvez un sens du lieu mais aussi l’accès à une offre fantastique de nourriture, de modes, de designs. C’est pourquoi Paris est la ville la plus visitée au monde et pourquoi on aime se rendre à Venise ou Barcelone. Entre autres.

Los Angeles est un cauchemar. Vous vous asseyez dans la voiture pour aller dans un centre commercial. Idem à Djakarta ou Johannesburg où l’on trouve les mêmes boutiques. Même Shanghai a perdu son sens du lieu. L’Europe doit le préserver parce que la mobilité active dans les rues est saine et parce que les boutiques de rues paient des taxes alors que les gens dans les véhicules autonomes achèteront sur Amazon.

Vous m’avez dit avoir une approche holistique de la mobilité. Qu’est-ce que cela veut dire ?

Il faut toujours regarder les externalités d’un système, ses effets sur d’autres systèmes. Par exemple Google dit qu’1,2 millions de personnes meurent chaque année du fait des accidents de la route et qu’il faut se débarrasser des conducteurs. Mais plus de gens meurent du fait de l’obésité et des maladies qui en découlent. Ceci peut être réduit par la mobilité active.

Vous affirmez être un homme de “contenu”. Comment cela se traduit-il dans votre événement ?

Il y aura plus de 100 conférences, sur des sujets liés à nos 5 variables-clés « ADESA » : A pour mobilité active, D pour Data, E pour électrique, S pour Sharing (partage) et A pour autonomie. Les innovateurs ont besoin de dire aux décideurs politiques et aux villes comment ils voient l’innovation dans 5-10 ans afin que ces acteurs puissent commencer à comprendre le type d’infrastructure et de législation dont ils auront besoin. Aucune ville n’est prête pour les véhicules autonomes et Paris n’a pas non plus de législation sur les trottinettes électriques.

De plus, il y a un besoin très important de mise en récit des raisons pour lesquelles l’Europe a une mobilité de qualité. Les villes européennes tendent à devenir des importatrices d’innovations : les bicyclettes Ofo, par exemple, qui viennent de Chine ou Tesla qui vient des États-Unis. Il y a près de 150 constructeurs automobiles en Chine, un chiffre proprement incroyable, et Silicon Valley domine l’innovation dans la mobilité par la quantité d’argent investi. Pour continuer à exporter leurs solutions de transports il manque deux choses à l’Europe : le financement et la mise en récit (storytelling).

L’Europe peut-elle exporter sa mobilité dans le reste du monde ?

Bien sûr. L’Europe exporte avec succès son mode de vie. Nous mangeons italien en Afrique du Sud, en Australie ou en Amérique et nous achetons la mode ou les parfums français pour imiter vos modes de vie. Les européens mettent en avant leur qualité de vie mais ils ne sont pas parvenus à y intégrer leur approche de la mobilité.

C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi Paris. Je peux aller au travail en vélo, marcher pour aller chercher mes enfants à la crèche. Au lieu de vendre des solutions techniques les compagnies européennes de transport doivent se rassembler et dire aux villes en croissance rapide de par le monde qu’elles sont capables de créer un mode de vie européen dans les rues.

Les responsables européens, publics ou privés, que je rencontre parlent toujours de leur pays, rarement de l’Europe. N’est-ce pas un problème ?

Face à la compétition provenant de Chine et à la collaboration Chine- États-Unis, les pays de l’Europe ne survivront pas dans le secteur de la mobilité s’ils ne font pas évoluer leurs conceptions. Ils collaborent peu. Les compagnies françaises et européennes ne comprennent pas l’échelle à laquelle le monde s’urbanise. Elles doivent offrir aux habitants des villes une vision à long terme holistique et durable avec des solutions globales.  

Qu’entendez-vous par là ?

Il faut toujours prendre les externalités en compte, faute de quoi vous avez de la mauvaise technologie. En 1997, les lobbies européens ont œuvré pour le diesel… personne n’a regardé les externalités sur la santé par exemple et maintenant personne n’en veut plus. On pourrait avoir la même chose avec les véhicules autonomes.

Il faut se demander ce qu’on doit faire pour améliorer la qualité de vie du citadin, comment favoriser la santé des gens, par exemple. Faire du vélo fait se sentir bien, pas être assis dans une voiture. Avec des gens plus heureux, les choses s’améliorent dans la ville. Mais il faut aussi concevoir les villes comme des générateurs économiques. L’une des raisons pour lesquelles je suis hautement pessimiste sur l’Afrique est qu’elle s’urbanise alors que l’Europe y jette ses véhicules diesel de seconde main. Embouteillages et contamination deviendront insupportables. Personne ne voudra y aller. Ils préfèreront se rendre ailleurs.

 

Une version de ce billet a été publiée sur le site du Monde.fr le 17 Octobre 2018.

 

Photo : Ross Douglas

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...