Les rentrées sont l’occasion de bonnes résolutions. Profitez-en : promettez-moi de ne plus dire que vous innovez. Vous avez bien lu. Arrêtez de mettre le mot innovation dans tous vos discours, communiqués et autres annonces publicitaires. Le terme est aussi délavé qu’un Jeans du siècle dernier.
Erwan Cario écrivait en juin dernier dans Libération : « Il arrive qu’un jour, un mot puisse avoir un sens, et que, pouf, le lendemain, plus rien. Ce même mot, répété jusqu’à la nausée, récupéré, détourné, psalmodié tel un mantra, ne veut alors plus rien dire. Ou, plus précisément, il porte alors en lui un symbole vague, mais a perdu tout lien avec la réalité. »
Dès mai 2012 le Wall Street Journal avait sonné l’alarme : 250 livres publiés sur Amazon au cours des trois mois précédents avaient le mot dans leur titre. En 2011 les entreprises enregistrées auprès de l’agence chargée de réguler les bourses des États-Unis l’avaient utilisé près de 34.000 fois, 64% de plus que cinq ans plus tôt.
Le même WSJ est reparti à la charge en décembre 2013 en se gaussant du patron de Kelogg’s qui venait de qualifier « d’innovation » une nouvelle version de ses fameuses Pop-Tart (pâtisseries) qui au lieu d’être fourrée au chocolat ou à la fraise, l’était maintenant aussi au beurre de cacahuète.
Abuser de ce terme a de graves inconvénients.
- C’est le contraire des paradigmes dont Thomas Kuhn a démontré l’utilité dans les sciences. Acceptés par une communauté à un moment donné, ils permettent – sans avoir à se mettre d’accord à chaque fois sur une définition – de savoir ce dont on parle.
- Les mots fourre-tout, pour leur part, sont utilisés de tant de façons différentes qu’ils perdent tout sens. Au lieu de faciliter la conversation, ils la rendent impossible.
Mais le pire, dans le cas qui nous intéresse aujourd’hui est que l’utiliser sert de prétexte… pour ne pas innover. On le met dans les objectifs de l’entreprise. On va jusqu’à créer une direction de l’innovation sans rien changer au fonctionnement réel de la boîte.
Ça sert, en France en particulier, à masquer le fort malaise (en psychologie on parle de dissonance cognitive) que notre pays éprouve face à toute menace de changement. Rien n’est plus étranger au royaume des avantages acquis et des élites conservatrices que la notion de « destruction créatrice » chère à Joseph Schumpeter, le premier à avoir mis en valeur l’importance de l’innovation qu’il définit comme « l’introduction sur le marché d’une nouveauté technique ou organisationnelle et pas seulement une invention ».
Nos ingénieurs déposent des brevets géniaux mais les entreprises qui les emploient ne se caractérisent pas par leur capacité de mettre sur le marché – et donc dans la société – beaucoup de produits, services ou modes d’opération susceptibles de la remettre en question.
Et puis, n’oubliez pas que ceux qui innovent ne le disent pas. Ils le font. Steve Jobs montrait un Mac, un iPhone ou un iPad et tout le monde comprenait. Faites comme lui. Ne dites pas « j’innove ». Just Fucking Do It.
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Crédit photo : Scott Ehardt/wikimedia commons/CC