Les deux premiers exemples d’économie du partage remontent à la création de Craigslist en 1995 à San Francisco et à Wikipedia (2001) la plateforme digitale de partage des connaissances que nous utilisons tous. Aujourd’hui, c’est le tandem Uber et AirBnB (que je ne peux résister de baptiser UbRBnB) qui illustre, pour la plupart d’entre nous, la montée de l’économie du partage.
Mais définir le sujet est bien compliqué. Professeure au Boston College, Juliet Schor estime que tirer une définition qui « reflète les usages courants est pratiquement impossible ». Rien de grave en soi si ce n’est qu’il s’agit d’un fabuleux terme de marketing dont nous sommes tous tentés d’abuser.
La première distinction essentielle consiste à séparer les entreprises à but lucratif des autres. Elles ne partagent pas de la même façon et, capacité de décisions et revenus sont répartis différemment entre les propriétaires et les autres.
Uber, par exemple, est un employeur agressif habitué aux pratiques anti-compétitives. « Beaucoup d’initiatives de l’espace de partage, telles que les dépôts d’outils, les banques de graines ou de temps et les échanges de nourriture n’ont pas de but lucratif, » note Schor. « Elles ne cherchent pas la croissance ou la maximisation des revenus et cherchent, au contraire à servir les besoins, généralement à l’échelle d’une communauté ».
Le mouvement a son théoricien en la personne de Yochai Benkler professeur à l’Université de Yale. Il part de l’exemple du « carpooling », un système qui consiste à partager une voiture pour se rendre au travail (et pour en revenir) utilisé par un sixième des gens Américains. Au départ donc, l’offre « repose sur des relations sociales et une éthique du partage, plus que sur un système de prix. […] Elle coexiste et se révèle plus efficace » que les marchés et les systèmes financés par les gouvernements. L’intérêt principal étant peut-être qu’une telle pratique n’est pas limitée à des communautés d’habitués qui se connaissent bien ». Elle s’étend à des « individus aux relations lâches » de « former des systèmes effectifs de grande taille pour la fourniture de biens de services et de ressources ».
La première vertu des entreprises qui disent appartenir à l’économie du partage tient au fait qu’elles offrent des services moins chers. Leur plateforme y contribue mais aussi, remarquent les critiques, le fait qu’elles tendent à évader certaines obligations comme les assurances, la formation (pour les véhicules avec chauffeur notamment) et les impôts. Alors même que leurs services ne sont pas fondamentalement différents.
Il ne fait aucun doute qu’elles ouvrent des « opportunités ». Il n’y a qu’à voir le fait qu’en région parisienne l’énorme majorité des chauffeurs d’Uber sont des beurs que le système actuel tend à bloquer. Elles facilitent la mise en relation d’étrangers en réduisant les risques grâce à la publication d’informations sur les utilisateurs et à la notation dont ils font l’objet. Mais, la réalité d’Uber (et dans une moindre mesure, pour le moment, d’AirBnB) est qu’un nombre croissant des éléments partagés sont la propriété de sociétés et non pas d’individus.
Mais il ne faut pas exagérer l’impact social. Le site espagnol Correo de las Indias dénonce même plusieurs « mensonges » qui accompagnent trop souvent l’économie du partage. Le premier consiste à les présenter comme des « communautés » alors qu’elles sont en fait des « places de marché ». Certaines se présentent comme contribuant à une « consommation consciente » quand, au contraire, elle permet aux classes moyennes de consommer comme avant malgré la crise. Et, contrairement à ce que certains croient, ces plateformes n’encouragent pas un nouvel usage de la ville car elles sont en fait centralisatrices.
Pour autant, il serait erroné, selon les auteurs, d’en conclure que l’économie du partage est « mauvaise ». Sa principale contribution est qu’elle « transmet une culture de l’utilisation efficace des biens durables ».
Une fois réglées la question de l’adaptation des lois et de leur respect. Deux questions beaucoup plus importantes encore devront être résolues. Celle de la « démocratisation de la propriété et de la gouvernance des plateformes » liée à la réduction de leur position monopolistique selon Schor. Benkler, lui a prévenu les participants au forum de Davos en janvier dernier qu’ils devaient faire attention au fait que de telles plateformes risquent de créer « des perturbations sévères en externalisant les risques aux gens que jadis connus sous le nom d’employés ».
Cet article a été publié par La Tribune le 15 avril 2015.