Pour un discernement digital

Le nombre de ceux qui refusent en bloc les technologies de l’information s’amenuise de jour en jour. Même en France. Et c’est une bonne chose. Mais ceux qui disent non à quelque chose de spécifique sont plus nombreux. Une réelle avancée du discernement.

Mathias Döpfner, patron du groupe allemand Axel Springer, vient de publier une remarquable lettre ouverte à Eric Schmidt, président de Google.

  • Il précise clairement qu’il ne s’oppose pas à l’Internet, ce qui serait un comble puisque son groupe tire 62% de ses revenus du digital.
  • Mais il combat la position monopolistique de Google, plus puissant aujourd’hui que ce qu’Orwell avait rêvé de pire.
  • Point essentiel à mes yeux, il dit que ce sont les « digital natives » qui doivent mener cette bataille du non (au monopole de Google sur nos données).
  • Il suggère à l’entreprise de Mountain View un autre « non », tout aussi remarquable : de se refuser à la croissance sans limite au nom de la « self-contraint ». Je me permets d’ajouter qu’Obama envisage des mesures (cosmétiques, il est vrai) de limitation des pouvoirs de la NSA. La démocratie sert aussi à ça et c’est dommage que les entreprises en soient exemptées.

« Y a-t-il des choses que nous devrions essayer de ne pas savoir » ? se demande pour sa part Quentin Hardy sur un blog du New York Times. Une vieille question qu’il faut reposer à la lumière de l’évolution technologique.

Éléments de réponse :

  • L’abondance des données recueillies permettra bientôt de « tout savoir » et les outils permettant de les recueillir et de les analyser sont à la portée de trop d’institutions.
  • Il cite Vivek Wandwha, présenté comme entrepreneur et critique social, pour qui « Big Brother ne pouvait pas imaginer que nous lui dirions où nous sommes, à qui nous parlons, comment nous nous sentons et que nous payerions pour le faire. » Il demande un amendement à la constitution (des États-Unis) spécifiant que nous sommes les propriétaires de nos données.
  • Seul problème, la régulation a peu de chances de fonctionner dans la mesure où de telles fonctionnalités sont abordées différemment d’une culture, d’un pays, voir d’une ville à l’autre.

Nous ne pouvons donc compter entièrement ni sur les État, ni sur les entreprises. La difficulté est d’apprendre à se maîtriser soi-même, surtout quand nos données – qui valent de l’or – nous sont prises en échange de services utiles, comme l’est un moteur de recherche efficace ou un média social hyper peuplé.

C’est une question philosophique et politique, comme le rappelle le critique Evgeny Morozov en reprenant une idée clé du philosophe italien Georgio Agamben qui distingue deux types de pouvoir. L’un repose sur l’interdiction de faire, dont nous sommes vite conscients, l’autre sur celle de ne pas faire qui est en fait plus pernicieuse.

La question qui se pose aujourd’hui est celle du discernement. Nous devons utiliser les TIC en ce qu’elles sont multiplicatrices de forces tout en luttant, comme toujours, pour limiter les concentrations de pouvoir qu’elles permettent. Ça n’est possible qu’en entrant dans la danse et c’est sans doute aux geeks et de montrer le chemin.

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Crédit photo : r2hox/Flickr/CC

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...