Les villes sont plus importantes que jamais pour la simple raison qu’elles se situent au carrefour des bouleversements les plus importants de notre époque.
Le premier est, bien évidemment, l’urbanisation massive. Ce que certains appellent la « révolution urbaine ».
Même si on se méfie des chiffres prévisionnels que les faits confirment rarement, l’ordre de grandeur est impressionnant : aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale vit dans des villes. Dans 35 ans ce sera plus de 70%, ce qui veut dire que le nombre de citadins aura pratiquement doublé. Cette accélération d’un phénomène en marche depuis longtemps aura surtout lieu dans le sud, dans les zones émergentes.
Selon McKinsey, entre aujourd’hui et 2030, la Chine construira entre 20.000 et 50.000 gratte-ciels qui pourront héberger l’équivalent de 10 New York. En 2030, près d’un huitième de l’humanité vivra dans une ville chinoise.
Seconde révolution, celle tes technologies de l’information et de la communication. Tout est digitalisé. Les humains comme les objets de la couche physique ont une « ombre informationnelle » dans la couche virtuelle. Et, depuis celle-ci, on peut agir sur eux. Les villes y ont recours dans l’espoir d’offrir des services moins chers alors que leur population s’accroît et que leur budget rétrécit. Petites et grosses entreprises informatiques y voient le plus gros marché des vingt prochaines années.
Mais les villes sont également au cœur du bouleversement climatique. Nous avons trop longtemps été formés à croire qu’elles sont le problème principal. Elles pourraient bien être, sinon « la » solution, du moins un élément essentiel des réponses à tenter. Il est clair, en tous cas, que nous n’avons aucune chance d’en réduire l’impact si nous ne changeons pas nos villes. C’est à ce niveau que l’intervention a le plus de chances d’être efficace.
L’importance des villes est également renforcée par le quatrième bouleversement qui marque notre époque, celui de l’ordre mondial. Le centre se déplace vers la zone Inde-Chine-Japon-Asie du Sud-Est dans laquelle vit déjà la moitié de l’humanité et où l’urbanisation sera la plus forte et la plus rapide au cours des prochaines années. C’est aussi le passage relativement rapide du monde unipolaire, dans lequel nous sommes entrés avec la fin de la guerre froide, à un monde « plus » multipolaire.
Or ce changement d’ordre s’accompagne de deux crises :
- celle des États-Nations et celle du politique. La première tient à l’incessante remise en cause des frontières par les mouvements locaux autant que supranationaux ainsi qu’au mode de fonctionnement et à la puissance croissante des grandes entreprises internationales.
- La seconde crise tient au fait qu’indistinctement de leur coloration, les dirigeants sont ressentis comme trop éloignés de ceux qu’ils sont sensés gouverner et de leurs problèmes. Le discours des partis ne suscite plus guère d’identification. L’effet est renforcé par le rôle des médias traditionnels perçus comme faisant partie du « système ».
Dans un cas comme dans l’autre, les villes constituent des éléments alternatifs de réponse. Elles s’insèrent dans les relations internationales. Elles ont leur propre diplomatie. Demandez à Bordeaux, Paris, Londres ou Barcelone, combien de représentants ils ont dans d’autres pays, combien de missions sillonnent le monde chaque année. Ce rôle ne peut que croître avec la multiplication des « méga-villes » (pouvant dépasser les 100 millions d’habitants et, en Chine, dotées d’un statut juridique propre).
Dans un monde qui perd le sens qu’il s’était trouvé au forceps au cours des deux derniers siècles et demi, les villes sont aussi l’espace où peut émerger une identité collective reposant sur les problèmes communs, la possibilité de les aborder concrètement et aussi – pourquoi pas ? – sur l’identification avec un club de foot.
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Crédit photo : Boston public library/Flickr/CC