Skolkovo, la Silicon Valley du Kremlin

Katia Gaika sait jouer sur les nuances mais, face au journaliste, elle s’applique d’abord à faire passer des messages simples. « Le but est de former un écosystème avec des startups, des entrepreneurs, des chercheurs, des capital risqueurs et de leur faire sentir qu’ils sont une communauté », m’explique-t-elle à propos du projet Skolkovo. Elle y est responsable R&D du cluster technologies de l’information.

Présenté par le Moscow Times comme la « version du Kremlin de Silicon Valley », Skolkovo est peut-être la plus pure tentative récente de la reproduire. Comptant sur les ressources de la Russie, de son gouvernement, de ses chercheurs de très haut niveau et de ses entrepreneurs décidés, l’initiative semble avoir tout pour réussir.

Katia en est convaincue. « On peut y vivre et y travailler comme à Silicon Valley », m’a-t-elle expliqué avec conviction. Un train permettra de se rendre dans le centre de Moscou en une demi-heure, et l’aéroport sera d’accès facile.

Ça n’est pas la première fois que les Russes créent des villes à partir de rien.

Plus qu’aux « cités de la science » soviétiques, elle pense à Saint Petersburg créée par Pierre le Grand sur un marécage et devenue « l’une des plus belles villes de Russie ».

« Changer de paradigme est souvent la seule façon de changer quelque chose en Russie. Il faut prendre le risque et c’est ce que nous faisons. Skolkovo n’est pas une question de géographie. C’est une philosophie, une idéologie. »

Situé à la périphérie de Moscou, le projet a été lancé par Dmitry Medvedev quand il était président pour marquer sa volonté de modernisation. Entreprise à but non lucratif, la fondation Skolkovo anime les différentes pièces de l’ensemble. L’une des plus importantes est l’Institut pour la Science et la Technologie (SkolTech). Créé en 2011 en collaboration avec M.I.T. il se targue d’être le premier à « à entièrement intégrer recherche, éducation, innovation et entrepreneuriat » au niveau de la maîtrise et au dessus.

Le pendant « affaires » est la Skolkovo Moscow School of Management, une business School privée créée en 2006 dans le même esprit. Différence notable avec ses prédécesseurs soviétiques, Skolkovo est ouverte sur l’extérieur. Loin de se cacher les dirigeants veulent qu’on connaisse son existence, son effort et bientôt, peut-être, ses réalisations.

Elle accueillera plusieurs grosses boîtes, de Microsoft à Siemens en passant par Cisco, IBM, Boeing, Philips, Pfizer, Tata, Gazprom. 52 fonds de capital risque, un millier de startups ont déjà suivi le mouvement (juin 2013).

La moitié pleine de la bouteille contient plutôt de la bonne vodka. Selon le Financial Times, 1,6 milliards de dollars avaient été investis avant juillet 2013, 13 000 emplois avaient été créés et un cinquième des startups étaient déjà rentables ce qui, partout, ferait figure de succès fabuleux.

L’autre moitié est faite d’accusations de corruption et de bagarres politiques. Elles se traduisent par une curieuse danse entre les deux principaux dirigeants du pays. A al mi-juin, Poutine annulait une disposition de son prédécesseur obligeant les entreprises publiques à contribuer à la dotation dont vit SkolTech, explique le Moscow Times. En août Medvedev décidait d’y consacrer 15 milliards de dollars d’ici à 2020. Restons gigantesques.

Ce bras de fer entre les libéraux de Medvedev et le groupe plus conservateur proche de Poutine risque d’entraîner, selon le FT, « la mort de la modernisation comme stratégie économique du gouvernement russe ».

Medvedev peut encore disposer de sommes importantes, mais ses déclarations au moment de l’annonce méritent réflexion. « C’est beaucoup d’argent, » a-t-il précisé « et donc le contrôle devrait être permanent. » Quand un État investit des sommes aussi vertigineuses et consacre autant d’efforts à un tel projet, il entend le contrôler. Cela semble contradictoire avec la dynamique d’un écosystème innovant. Un vrai problème.

crédit photo : CC/Skolkovo Foundation

J’enquête, je suis et j’analyse les technologies de l’information et de la communication depuis la préhistoire (1994). Piqué par la curiosité et l’envie de comprendre ce que je sentais important,...