Investisseur israélien de premier plan Yossi Vardi dirige, avec Aleix Valls qui en est le directeur, la partie la moins connue et peut-être la plus intéressante du Mobile World Congress qui vient de se tenir à Barcelone. Four Years From Now (4YFN) est en effet l’espace où, comme son nom l’indique, on s’intéresse au monde que nous préparent les startups plus qu’aux gadgets sur le point d’envahir le marché
Yossi Vardi est une légende, et pas seulement en Israël. Je l’ai rencontré plusieurs fois aux quatre coins du monde. La première c’était en 1998 alors qu’il venait de vendre Mirabilis à AOL pour la somme (jugée alors pharamineuse) de 400 millions de dollars. Je l’ai retrouvé dans toutes les conférences qui comptent, C’est au cours des entretiens, chez lui, à Tel Aviv (en juin 2012) qu’il m’a parlé de sa passion pour les startups.
« Je suis obsédé par la phase initiale » m’a-t-il confié. « Celle où on a une simple idée. C’est comme une sculpture. On regarde le bloc de pierre, on fait un pas en arrière et on voit la statue qui s’y trouve et qu’il suffit de révéler. C’est beau. Les attentes. La joie de réussir. La tristesse quand on n’y arrive pas. C’est un moment très spécial. Comme accoucher.
« La plupart des capital risqueurs disent « montrez moi le trafic ou la capacité d’attraction (traction) et je vous donnerai l’argent. Je me contente de dire : « montrez-moi que vous avez du talent ».
« Les coûts de développement et d’innovation ne cessent de baisser. C’est presque comme la loi de Moore. Et l’excès d’argent est toxique. Ça pousse à engager trop de monde, à flamber (accroître le burning rate).
« Les innovateurs ont changé au cours des 15 dernières années. C’est moins une façon de gagner de l’argent, plus un style de vie. Ils ne veulent pas se retrouver dans un parc industriel. Ils gravitent autour des espaces urbains conçus autour de leur mode de vie. S’ils sont immigrants ou gays ils veulent être acceptés. Ils veulent des graffitis et des roller skate. L’environnement est essentiel. Regardez Berkeley, Barcelone ou Tel Aviv. L’ouverture (d’esprit), le libéralisme [au sens américain du terme], le fait de bien accueillir la diversité, tout cela est très important pour les innovateurs. Il faut comprendre la sociologie de cette classe créative. L’échange pour se féconder les uns, les autres est crucial.
« La technologie est une matière sur laquelle le talent et l’art s’expriment comme ils ont pu le faire, sur la toile, l’argile, le papier ou la pierre. Sans cela on ne peut pas attirer les utilisateurs.
« Mais il n’y a pas de formule pour faire le beau. Il n’y a aucune façon d’expliquer pour quoi je préfère Pergolèse à Scarlatti.
« Le design est essentiel. Les gens ne sont pas capables de regarder le code. Ils veulent une satisfaction apaisante. Quelque chose d’esthétique. Je donne de l’argent à tous ceux qui ont beaucoup de talent dans ce domaine.
« Le détecter est moins difficile qu’on ne croit. Imaginez que vous rentrez dans une classe et que vous voulez trouver le plus talentueux des élèves. Le mieux est de demander aux enfants. Vous pouvez tromper le professeur mais pas les gamins (you can’t fool the kids) ils savent qui a du talent dans leur communauté.
« Le fait qu’Israël soit un petit marché est un avantagecar ça nous oblige à penser immédiatement à l’extérieur. L’unicité de l’écosystème israélien est l’alliance entre beaucoup de petites compagnies et de grandes multinationales en quête d’innovations. Beaucoup de grosses entreprises ont des centaines d’employés ici. Aujourd’hui 14 compagnies étrangères sont responsables de la moitié des exportations d’Israël dans les high tech. Elles apportent leur capacité de déploiement qui requiert des dizaines de millions de dollars. Elles apportent leur savoir faire managérial et leur capacité de scale up, offrent aux startups l’accès immédiat au marché mondial.
« Il y a un débat émotionnel pour savoir si l’exit rapide est bon ou mauvais. Tout le monde n’est pas d’accord avec cette stratégie qui consiste pour une startup à se vendre tôt et certains sont prêts à les financer pour leur permettre de continuer ».
Cet article a été publié par La Tribune le 3 mars 2015.