Une science des villes est peut-être en train de naître ; il faut éviter les ghettos technologiques (sans rejeter les startups, bien sûr) ; et si les smart cities nous permettaient de créer des villes plus féminines… Chaque semaine, Francis Pisani, journaliste et spécialiste des technologies de l’information, commente pour « Le Monde » sa sélection de l’actualité des mutations urbaines.
Une science des villes… pourquoi pas ? Pour quoi faire ? Face à la complexité des rassemblements urbains, si considérable qu’elle nous échappe, la réaction d’un nombre croissant de chercheurs est d’envisager une approche scientifique susceptible de nous aider. Les humains s’urbanisent depuis des millénaires mais une telle science n’en est encore qu’à ses balbutiements. Ce qui n’interdit pas de chercher des débuts de règles qui s’appliqueraient à toutes les villes et permettraient un degré minimum de prévisibilité. S’appuyant sur une base de données de 32 millions d’entreprises dans 366 zones urbaines (hélas, toutes américaines) un article, écrit par des scientifiques des Etats-Unis et de Grande Bretagne, montre qu’un nouvel emploi est créé chaque fois qu’une ville s’agrandit de 22 habitants. Les villes sont aussi d’autant plus diverses qu’elles sont plus grandes ce qui explique pourquoi dans les petites on n’a que des restaurants proposant un seul type de cuisine alors que dans les mégalopoles on trouve non seulement des cuisines de pays différents mais de plusieurs régions de certains pays (Sichuan pour la chinoise, alsacienne pour la française, du sud pour l’Inde etc., par exemple). Élémentaire tout cela, mais il ne s’agit que d’un début… à suivre.
Attention aux ghettos technologiques : même les quartiers peuvent se « siliconer » à l’excès, se transformer en enclaves high-tech dans lesquelles on assure de douces qualités de vie pour attirer la « classe créative ». Mais, sous prétexte d’attirer startups et innovateurs, elles risquent d’accroître les inégalités sociales… qui n’ont pas besoin de ça. Le problème est suffisamment sérieux pour que le très sérieux Institut Royal de la Planification des Villes publie une étude sur le sujet dans laquelle elle propose aux planificateurs urbains de faire attention au problème et, comme ils ne sont pas les plus compétents en la matière, de travailler main dans la main avec le Chief Technology Officer (directeur responsable de la technologie). Une preuve de plus que nous ne pouvons pas avancer sans désiloter.
Les villes sont dominées par les hommes, comme trop de choses dans nos sociétés. Mais pourquoi ne pas profiter des changements en cours pour donner leur place aux femmes. Les opportunités ne manquent pas comme l’illustre le bouton spécial que l’on trouve sur l’application Uber en Inde. Il permet aux femmes de donner l’alarme en cas de menace de viol. Étendons cette logique suggère Étienne Roché dans un billet publié par L’Atelier. « Dans leur double vie de citadine, de femme active et souvent de mère, les notions de fluidité du quotidien, de consommation, de simplicité des échanges, des transports, des démarches administratives, ont été plus éprouvées par les femmes que par les hommes ». Plus encore que d’une opportunité, il s’agit là d’une obligation.
Les poubelles de Dallas s’expriment par app interposée. Leur intermédiaire est le service de santé de la municipalité. Depuis peu, propose aux citoyens de la ville de les informer du prochain passage de la benne à ordures et de toutes les activités spéciales comme ramassage des sapins de Noël ou campagnes de recyclages. Faute de s’être dotée du même dispositif, New York propose un jeu pour encourager à mieux trier les déchets et ainsi les recycler plus facilement.
Les moustiques se sont adaptés aux villes et prolifèrent aujourd’hui aussi bien dans les favelas des pauvres du Brésil que dans les piscines des riches (avec une préférence marquée pour les premières). Paradoxe de la modernisation, un peu d’amélioration semble contribuer à l’actuelle épidémie de Zika, le virus à l’origine de l’augmentation du nombre de bébés microcéphales, dans la mesure où le porteur aime déposer ses larves en eau propre, de plus en plus présente mais jamais suffisante.
Les villes fantômes de Chine n’existent peut-être pas de la façon que suggère cette superbe sélection de photos. Nous avons souvent tendance à dire qu’il s’agit de villes mortes alors que, selon Kai Caemmerer qui en a visité plusieurs, ce sont des villes non encore ouvertes à leurs habitants. La confusion tiendrait au fait que les Chinois fonctionnent différemment. Ils construisent des villes nouvelles à partir de rien puis, quand elles sont prêtes, ils ouvrent les portes aux habitants. Entre le moment où les travaux sont finis et le peuplement on retrouve effectivement des rues parfaites et vides… mais qui, loin d’être déjà mortes, ne sont pas encore nées. Belle illustration de la difficulté de créer des villes nouvelles. Mais qui a la bonne méthode ?
Une application propose des chemins de traverse et pas le chemin le plus direct pour se rendre d’un point à un autre. Créée par un étudiant autrichien basé à Londres LikewaysApp s’appuie sur les données de Facebok Places pour suggérer des itinéraires hors sentiers battus et rues trop transitées. Détail piquant, elle ne dit pas toujours ce qu’on va trouver sur le chemin proposé. Je me demande s’il s’agit, comme le prétend l’auteur, d’une volonté de nous obliger à garder les yeux ouverts et à chercher par nous même ou si ce n’est qu’une formule pour masquer une insuffisance technique. Qu’importe, qu’il s’agisse d’une attitude existentielle ou d’un storytelling astucieux, c’est bien trouvé.
Photo Pixabay (Ville de Waldkirch la nuit)
Une version de ce billet a été publiée le 25 février 2016 sur le site du Monde.fr.