J’ai tendance à penser que les technologies de l’information et de la communication peuvent aider à améliorer nos vies en général et nos villes en particulier. Elles ne résolvent pas tout, entraînent plein de conséquences inattendues (souvent désagréables) et n’entraînent pas la disparition des conflits et des injustices.
Nouveaux affrontements
Mais elles sont le théâtre de nouveaux affrontements dans lesquels les positions dominantes sont redistribuées, ce qui offre une chance à ceux qui ne bénéficiaient pas du rapport de force antérieur.
En bref, les TIC sont un bel outil pour aborder la révolution urbaine en cours dans de meilleures conditions. Tout le problème est qu’aujourd’hui les exemples dont on parle le plus – qu’il s’agisse des villes « nées intelligentes » comme Songdo en Corée ou Masdar à Abu Dabhi, ou de celles qui essayent de le devenir comme Rio de Janeiro ou Londres – semblent aller tout droit dans le mur.
Les raisons abondent, depuis le coût jusqu’au fait que le projet vient d’en haut et ne fait guère de place aux citoyens, dans la majorité des cas. C’est l’impression que j’ai eu en sortant du Smart City World Congress dont j’ai rendu compte la semaine dernière. J’y reviendrai.
Je voudrais aujourd’hui évoquer deux questions de fond, deux questions que nous avons intérêt à nous poser chaque fois qu’on nous parle de ville intelligente, qu’on nous propose d’en créer une.
La première question est celle du modèle technologique. Au risque de simplifier (il est clair qu’on trouve plein de modalités différentes), il semble bien que l’offre la plus répandue – surtout pour les villes nouvelles – est celle d’une infrastructure unique, connectant tout, sachant tout et permettant de tout contrôler.
Une sorte de retour en arrière
Cela présente d’énormes problèmes. Le premier est précisément que cela facilite le contrôle et peut permettre des dérives… Plein de critiques ont été faites dans ce sens. Mais, pour ceux qui suivent l’évolution des TIC depuis un moment il est clair qu’il s’agit d’une sorte de retour en arrière vers l’époque des « Main Frames », des ordinateurs peu nombreux et ultra puissants.
C’est comme si l’ère de l’ordinateur personnel, sous ses multiples formes, n’avait jamais eu lieu et comme si, pire encore, on ignorait l’évolution vers les tablettes et les téléphones mobiles. Oh, je sais, elles sont prises en compte dans bien des programmes, mais plus pour nous demander de communiquer des données au centre que pour débattre du futur de notre ville, ou de notre quartier.
Une question de standards
Plus personne ne croit aujourd’hui (je suis sûr que certains en rêvent encore) aux univers informatiques unifiés. La question est celle de l’interopérabilité entre systèmes différents et donc vite complexes. Cela veut dire qu’aucune entreprise ne peut à elle seule trouver la solution et que, dans le meilleur des cas, c’est une question de standards dont il faut débattre. Ce qu’essaye d’ailleurs de faire le Smart City Protocol.
Et pour enfoncer le clou, il est évident à tout œil attentif et à tout esprit ouvert qu’une telle modalité se donne bien peu de chances de pouvoir rendre le moindre compte de la complexité des villes. Il s’agit, en outre, de solutions aux coûts exorbitants.
Nous sommes encore une fois devant des propositions conçues en laboratoire avec pour finalité d’augmenter le chiffre d’affaire, ce qui est parfait, à condition de tenir compte de la société. Il leur reste à se soumettre à l’appréciation des utilisateurs dont on oublie trop souvent que ce ne sont pas les municipalités (qui payent les chèques) mais nous (qui risquons d’en faire les frais).
Sous l’angle de la participation citoyenne
La seconde question à se poser est celle du cadre politique. S’agit-il bien de la ville ? Aucune municipalité n’est, aujourd’hui, l’espace où la vie se joue. Il s’agit plutôt du quartier, d’une agglomération, voir d’une mégaville. Comprenons-nous, les entreprises ont besoin d’un cadre capable de prendre des décisions et de signer des contrats. Mais les portes auxquelles elles peuvent frapper aujourd’hui ne correspondent que très imparfaitement au vécu réel des habitants.
C’est aussi pour cela que nous avons besoin d’aborder la question de l’intelligence des villes sous l’angle de la participation citoyenne. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
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Crédit photo : CC/Chalky Lives