Personne n’a vraiment envie de s’installer dans une ville nouvelle, c’est à dire vide, pour commencer. Ceux qui y vont le font par nécessité. Il est clair, au moins depuis la création de Brasilia, que les meilleurs architectes et les meilleurs urbanistes ne peuvent nous proposer que des lieux agréables à regarder mais impossibles à vivre. Et pourtant, tout indique que nous ne pourrons pas nous passer de créer des villes nouvelles… Ne serait-ce que pour éviter la croissance des bidonvilles.
J’ai récemment eu l’occasion de visiter Songdo en Corée et de me faire présenter le projet de Sri City en Inde. Je dois reconnaître avoir été agréablement surpris par le tour de la première, en compagnie de Scott Summers, vice-président de Gale International, la compagnie étatsunienne chargée du projet.
« Tout est conçu pour que les habitants puissent circuler en 15 minutes à pied entre leur logement, leur lieu de travail et le centre commercial », m’a expliqué Summers. L’ensemble est même structuré autour d’espaces verts et d’écoles. J’ai moins aimé les coûts qui en font un espace réservé aux Coréens aisés. Idem pour la centralisation de toutes les infos dans un centre de contrôle unique. Mais il s’agit là d’une des propriétés des villes nouvelles telles qu’elles nous sont proposées par les spécialistes de l’infrastructure technologique.
Et j’ai pu constater que les entreprises tardent à s’installer. Peut-être parce que trop de gens hésitent à venir vivre dans une ville tirée au cordeau mais dont les rues sont encore trop peu animées.
Siri Raju, un Indien qui a fait fortune dans l’informatique a décidé de procéder de façon inverse. S’appuyant, outre son argent personnel, sur des fonds étatsuniens, il commence par attirer des usines qui font venir – et sélectionnent un par un – ouvriers et employés. Les logements viennent ensuite.
« Les villes intelligentes sont vendues par des gens comme moi qui veulent vendre des technologies mais les services aux citoyens sont plus importants » m’a-t-il déclaré. Cela commence, pour lui, par les emplois.
Nous avons là deux intentions plutôt louables dont l’une s’accompagne d’une centralisation de l’information, alors que l’autre passe par la sélection des habitants de la ville par les entreprises. Rien d’enthousiasmant dans tout cela, mais la vraie question n’est pas là. Elle est dans le fait que la population urbaine doublera d’ici à 2050. Or 90% de cette croissance aura lieu dans des pays en voie de développement, notamment dans les régions les plus pauvres de la planète.
Ce qui veut dire que la croissance se fait essentiellement sous forme de bidonvilles. Pas loin d’1 milliard de personnes vivent aujourd’hui dans ce type d’urbanisation (« au moins 860 millions » dit, avec la prudence académique de rigueur, un article publié par des professeurs du Massachussetts Institute of Technology). De 2000 à 2010 ils ont cru au rythme de 4,5% par an, ce qui veut dire que leur population double tous les quinze ans.
Le choix, si tant est qu’il y en a un, est donc entre croissance des bidonvilles et création de villes nouvelles. Or le problème se pose aussi, à sa façon, en Europe et aux Etats-Unis où il faut créer des quartiers nouveaux ou en équiper d’autres dont les habitants vivent dans des conditions inacceptables.
Nous ne pouvons donc pas éviter de construire des villes nouvelles alors même que nous ne savons pas le faire. Quelles ques soient les bonnes intentions, l’intelligence et la sensibilité qu’on y met, il manque toujours le désordre qui tisse, avec le temps, la complexité sans lesquelles la vie n’y est pas supportable.
Les bidonvilles démarrent de façon chaotique mais à des coûts sociaux d’autant plus inacceptables qu’ils s’éternisent. Le temps peut-être inscrit, dans l’architecture comme dans l’urbanisation, sous forme d’espaces vides à occuper plus tard et, bientôt peut-être, sous forme de matériaux transformables. Un énorme chantier pour tous ceux qui se préoccupent de la qualité de nos villes.
Crédit photo : Sharon Hahn Darlin/Flickr/CC